Vous n’échapperez pas aux droits de douane américains !

(Sipa)
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Les Etats-Unis ont un besoin impérieux des recettes issues des tarifs douaniers pour ne pas être précipités dans les abysses budgétaires. Explications.

Beaucoup, jusqu’au sein de la Commission européenne, estiment qu’en négociant bien, nos économies pourraient échapper aux droits de douane américains. Mais c’est méconnaître l’équation budgétaire américaine, avertit Florence Pisani, économiste en chef chez Candriam.

Commençons par un rappel. Avant Donald Trump, l’économie américaine était quasiment sur un nuage.

Le monde d’avant

Jusqu’au début de cette année, elle bénéficiait d’une croissance stable, avec une demande intérieure en hausse de 3 %. Le marché du travail affichait une dynamique remarquable, avec environ 150 000 créations d’emplois mensuelles, de quoi absorber la population active sans accroître le taux de chômage qui flirtait avec le plein emploi. La croissance des salaires devenait plus sage.

« L’inflation sous-jacente était repassée en dessous de 3% et l’inflation dans les secteurs les plus intensifs en main d’œuvre, dans les services, était en train de revenir à son niveau d’avant pandémie. C’était le scénario rêvé pour la Réserve fédérale américaine, qui pouvait envisager un atterrissage en douceur », observe Florence Pisani.

Mais voilà qu’arrive Donald Trump et surtout son Libération Day du 2 avril dernier par lequel il déclare une guerre commerciale au monde entier.

Cinq points essentiels

Le programme du président américain se décline en cinq points essentiels : des coupes claires dans l’administration (avec la mise en place du DOGE), des baisses d’impôts supplémentaires à celles déjà annoncées avec la prolongation du TCJA (Tax Cuts and Jobs Act, la loi fiscale de 2017, qui devait arriver à échéance à la fin de cette année, mais qui sera prolongée), une politique migratoire musclée et une déréglementation de l’économie.

Dans les faits, le DOGE est loin d’avoir atteint ses objectifs : il n’a finalement économisé « que » 165 milliards de dollars, bien loin des 1000 à 2000 milliards annoncés. La politique migratoire est en cours, même si les déportations massives promises par Donald Trump n’ont pas encore eu lieu. L’administration américaine s’est fixé comme objectif l’expulsion massive des migrants en situation irrégulière, estimés à 11 millions. Autre point important, les prémices de déréglementation sont visibles dans plusieurs secteurs, notamment la finance et l’exploitation des ressources naturelles, comme le forage en Alaska. Mais on est loin du big bang annoncé.

Comme dans les années 30

Le big bang, en revanche, a bien eu lieu au niveau des tarifs douaniers : « Pour Donald Trump, les droits de douane constituent un outil magique : ils permettent de réindustrialiser, de créer des emplois manufacturiers plutôt bien payés pour la classe moyenne et d’apporter des recettes », souligne Florence Pisani, qui poursuit : « nous avions à la fin de l’an dernier établi deux scénarios, un modéré, un autre plus noir. Aujourd’hui, nous sommes entre les deux, ce qui nous place sur des niveaux de droits de douane qui sont ceux des années 30. Cela constitue un choc significatif pour l’économie américaine, et pour l’économie mondiale ».

Pour Candriam, avec des droits de douane supplémentaires de 35% sur la Chine, de 15% sur les « dirty 15 » (un groupe de pays pas vraiment spécifié par Donald Trump mais dans lequel on retrouve les principaux partenaires commerciaux européens et asiatiques des Etats-Unis), si on ajoute à cela 25% de tarifs dans des secteurs spécifiques (automobiles, pharmacie, aluminium, semi-conducteurs…), si l’on tient comte de l’expulsion de 600.000 immigrés illégaux et des budgets coupés par le DOGE, l’impact économique pour les Etats-Unis est substantiel : selon Candriam, ce choc correspondrait à une baisse de 1,3% du PIB, une hausse de 0,7% du chômage et une inflation qui augmenterait de 1,3%.

La grande et belle loi

Mais l’actualité est surtout budgétaire, avec cette «grande et belle loi», qui a passé le cap de la Chambre et est désormais examinée par le Sénat. Elle propose, sur dix ans, de réaliser 1.500 milliards d’économie, – « essentiellement dans les dépenses sociales sur la classe moyenne et les ménages les plus pauvres : on coupe des programmes de bons alimentaires, des programmes de nutrition pour les enfants et Medicaid », détaille Florence Pisani – et 1.000 autres milliards seraient économisés suite à la disparition des subventions « vertes » qui étaient associées à l’IRA (Inflation Reduction Act), le programme d’incitation à l’investissement mis en place par Joe Biden).

Face à ces 2.500 milliards d’économie, le programme budgétaire de Donald Trump propose une série de dépenses : il y a des baisses d’impôts prolongées, notamment via le TCJA. « Ces baisses d’impôts étaient déjà là les années précédentes, mais il y a une hausse du coût des dépenses liée au fait que, le déficit étant élevé, la charge d’intérêt continue à augmenter, précise l’économiste. En outre, il y a des dépenses sociales qui dérivent simplement en raison du vieillissement de la population. Donc il y a naturellement une tendance à la dégradation du déficit » constate Florence Pisani.

La loi budgétaire ajoute aussi au TCAJ de nouvelles baisses d’impôt (disparition de la taxe sur les pourboires, sur les heures supplémentaires…) et une réduction des cotisations sociales sur les retraites. Elle contient aussi une augmentation des dépenses de sécurité aux frontières, des dépenses militaires… « L’astuce de Donald Trump, a été de dire que ces nouvelles baisses d’impôts sont là pour quatre ans. Elles expirent en 2028, libre au successeur de faire ce qu’il veut. Mais l’on sait très bien que si baisser les impôts est facile, les relever est bien plus compliqué », observe l’économiste de Candriam.  

Indispensables tarifs

Faisons les comptes : prolonger le TCJA, ajouter de nouvelles baisses d’impôt et ajouter quelques dépenses supplémentaires, tout cela se traduit par une augmentation du déficit budgétaire de 5.000 milliards. On passe même à 6.700 milliards si les baisses d’impôt supplémentaires ne durent pas 4, mais 10 ans.

De l’autre côté, les baisses de dépenses inscrites dans la loi sont de 2.500 milliards. « Mais il faut ajouter, poursuit Florence Pisani, un élément qui n’est pas dans la loi et qui est décidé par le Président: les recettes des tarifs douaniers. » Ces recettes dans un scénario moyen pourraient rapporter, selon Candriam 2.700 milliards. Si vous les ajoutez, on a alors environ  5.000 milliards de dépenses et 5.000 milliards de recettes. « On se dit dès lors : bon, le budget est équilibré. Mais il faut bien voir ce que signifie l’équilibre dans ce monde-là, souligne Florence Pisani : cela signifie que l’on maintient un déficit de 6,5% du PIB ! »

C’est bien là la situation de départ : toute cette loi budgétaire en effet ne vise pas à améliorer les finances publiques fédérales, mais simplement à ne pas trop aggraver les choses, en pariant sur le fait que, l’Amérique étant grande à nouveau,  le problème budgétaire finira par disparaître.

Conclusion :  les États-Unis ont vraiment besoin de ces recettes liées aux droits de douane, simplement pour ne pas déraper davantage. « Si vous perdez vos recettes de droits de douane, vous déséquilibrez encore davantage le budget. Vous ne reviendrez jamais au monde d’avant, conclut Florence Pisani. » 

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