Le casse spectaculaire des joyaux de la Couronne au Louvre relance la question : pourquoi l’art attire-t-il autant les criminels ? Entre opportunisme, revente lucrative et monnaie d’échange, les motivations varient.
Sept minutes chrono. C’est tout ce qu’il a fallu à quatre cambrioleurs pour s’emparer de huit joyaux du Louvre, évalués à 88 millions d’euros. Un butin vertigineux, mais « illusoire », selon la procureure de Paris, Laure Beccuau, qui prévient : « Les voleurs ne toucheront jamais cette somme s’ils ont la très mauvaise idée de faire fondre ces bijoux. »
Les Pink Panthers, fantômes insaisissables du crime organisé
Si l’on ignore encore tout des coupables, la plupart des spécialistes penche pour une équipe à tiroir, soit d’une équipe composée de plusieurs petits groupes distincts qui se répartissent les tâches.
La manière de procéder évoque celle d’une organisation criminelle rodée comme les Pink Panthers. Les Pink Panthers sont un réseau international de voleurs de bijoux particulièrement sophistiqué, considéré comme l’un des plus audacieux et efficaces de l’histoire du crime organisé. Leur signature : des coups audacieux, minutieusement préparés, exécutés en quelques minutes.
Le groupe tire son nom d’un braquage commis à Londres en 2003, où les voleurs avaient dissimulé un diamant volé dans un pot de crème pour le visage, une technique rappelant un film de la série “La Panthère Rose” avec Peter Sellers. Interpol a adopté ce surnom pour désigner le réseau.
Créé dans les années 1990, Interpol leur attribue plus de 370 vols de bijoux dans 35 pays, pour un butin estimé à plus de 500 millions d’euros.
Parmi leurs faits d’armes : le braquage de la bijouterie Harry Winston à Paris en 2008 (85 millions d’euros de butin), le vol de diamants à Cannes en 2013 (103 millions d’euros), ou encore l’attaque à la voiture-bélier d’une boutique Cartier à Dubaï. Leur force : une structure flexible de cellules autonomes, composées de spécialistes issus des Balkans, qui se dispersent après chaque coup.
Gentleman cambrioleurs ou copycat
Malgré plusieurs arrestations au fil des années, le réseau continue d’opérer. Interpol maintient une coordination internationale pour traquer ces “gentlemen cambrioleurs” version XXIe siècle, mais leur capacité d’adaptation et leurs connexions internationales compliquent la tâche des enquêteurs.
On notera aussi qu’une bande française est également dans le viseur des enquêteurs. Ces derniers mois, plusieurs musées français ont été cambriolés. Il y a à peine un mois, des voleurs ont dérobé 600.000 euros de pépites d’or au Muséum d’histoire naturelle de Paris.
Tentantes, ces pistes n’en sont pas moins aujourd’hui que de la spéculation. Il peut tout aussi bien s’agir d’imitateurs (copycat) qui tentent leur chance.
Pourquoi l’art fascine les criminels
Que l’art soit convoité par les voleurs n’est pas nouveau. “Le crime organisé se concentre désormais sur les objets d’art, les musées sont devenus des cibles”, a déclaré cette semaine encore la ministre française de la Culture. Les experts confirment cette tendance. “En France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne, cela arrive fréquemment”, constate Arthur Brand, expert néerlandais en récupération d’œuvres d’art.
“Dans notre pays, comparé à d’autres, cela arrive relativement peu”, nuance Janpiet Callens, ancien enquêteur de la cellule Art Crime de la police fédérale belge (aujourd’hui dissoute) à la VRT. Pourtant, la Belgique n’est pas épargnée. En 1997, deux œuvres dont un Van Gogh ont été dérobées au KMSKA. Les toiles ont été retrouvées plus tard dans un camion. Le musée René Magritte n’a pas échappé aux voleurs non plus. En 2010, l’œuvre ‘Olympia’ a été dérobée, pour ne réapparaître que deux ans plus tard.
Toutes les affaires n’ont pas connu une issue heureuse. En 2013, une dizaine d’œuvres précieuses, dont une de James Ensor, ont été volées au musée Van Buuren à Uccle. Malgré de longues négociations, les œuvres n’ont jamais été retrouvées.
Trois mobiles principaux
L’appât du gain brut reste la motivation la plus évidente. Pourtant de telles œuvres sont souvent très difficiles à revendre. Trop connues, on ne peut rien en faire. Une popularité encore encouragée par internet qui répertorient nombre de ces œuvres. Un constat qui a poussé, depuis 10 à 15 ans, les voleurs à se concentrer sur deux types d’objets : la porcelaine chinoise et l’or, l’argent et les diamants. Si la porcelaine disparaît le plus souvent en Chine, les bijoux qui sont volées ont donc de grandes chances d’être vendu à la découpe et donc de disparaître pour de bons.
Dans la lignée du gain financier se trouve également deux tendances plus anecdotiques. Il y a l'”artnapping” – le kidnapping ou la prise en otage d’œuvres d’art. Les voleurs négocient ensuite avec la compagnie d’assurance pour le restituer contre environ un dixième de sa valeur réelle. Une deuxième tendance est que cela serve de monnaie d’échange pour criminels endurcis. Ils serviraient pour payer une rançon ou pour réduire des peines. C’est déjà arrivé en Italie ou un mafieux a révélé l’emplacement de deux Van Gogh volés en échange d’une réduction de peine.
Et que penser de la piste du collectionneur obsessionnel? Ils existent et certains sont effectivement capables de beaucoup. Plus intrigant, parmi les amateurs des deux empires, il y aurait des milliardaires prêts à tout. Néanmoins cette piste est jugée de moins en moins probable.
Quoiqu’il en soit les statistiques ne plaident malheureusement pas pour une fin heureuse. Seulement 5 à 10 % des vols d’art sont résolus (et retrouvés). Détail piquant, les bijoux volés au Louvre n’étaient pas assurés. En effet, l’État est son propre assureur, les primes d’assurance pour les collections permanentes étant astronomiques.