Cinq minutes pour comprendre

Cinq minutes pour comprendre: vivement une bonne guerre !

Russie Ukraine
© Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Montesquieu, toi qui prônais le doux commerce, ne te réveille surtout pas. Ce qui suit risque de te faire broyer du noir pour le reste de l’éternité. On va, en effet, expliquer pourquoi le concept de PIB pourrait inciter l’homo oeconomicus à taper sur son voisin.

Cette semaine, le FMI a peaufiné ses prévisions de croissance pour l’économie russe. Et elles sont, étonnantes : la Russie devrait afficher cette année une croissance de 0,7% cette année (les prévisions précédentes tablaient sur 0,3%). Et l’an prochain, la croissance russe serait de 1,3% (là, les prévisions précédentes étaient plus optimistes et tablaient sur 2%).

Les partisans du Kremlin jubilent. « Vous prévoyiez une chute de l’activité de la Russie de 15% lors du début du conflit ukrainien, et regardez, disent-il:  vos sanctions et tout le toutim, cela glisse sur notre économie comme un pet sur une toile cirée ».

Mais en fait, cette résilience n’est pas si surprenante. Car elle s’explique tout simplement par le baromètre qu’on utilise pour la mesurer : le PIB.

Les économistes vous le diront : le PIB (produit intérieur brut) est la somme de la valeur ajoutée brute créée dans un pays pendant un an.  On dira plus simplement que c’est la somme des richesses créées dans le pays. Le PIB reste  l‘indicateur le plus sollicité pour parler de l’activité économique. Il est néanmoins très imparfait. La liste de ses défauts est longue. Il ne prend en compte que les flux (il ne dit rien du niveau de patrimoine du pays et des gens). Il ne considère que les richesses que l’on peut évaluer au prix du marché (il n’intègre pas le travail d’un père ou d’une mère pour garder ses enfants, tondre la pelouse, faire à manger…). Le PIB a du mal à intégrer l’économie au noir dans son calcul (on essaie, cependant). Et puis, le PIB se moque comme d’une guigne de la morale et de la qualité de ce qui est produit.

PIB immoral

Prenons la Russie : la croissance de  son économie est en partie due au fait que Moscou continue à pouvoir écouler son gaz et son pétrole en contournant les embargos. Et elle s’explique aussi par la production de chars, de canons, de missiles et de munitions, bref, de matériel de guerre qui sera en grande partie annihilé quelques semaines plus tard sur les plaines ukrainiennes. La Russie produit des « richesses » , mais celles-ci ne servent en rien au bonheur du peuple russe, et encore moins du peuple ukrainien.

En fait, le PIB se nourrit comme une goule des malheurs de l’homme

Quand quelque chose est détruit, c’est bon pour le PIB, car il faut reconstruire et cela crée de l’activité. Le PIB augmente donc  après un tremblement de terre, un accident de la route, un incendie, une inondation, une guerre. Selon certaines estimations, lors de la Seconde Guerre mondiale,  l’économie américaine a été boostée d’environ 10% par l’effort de guerre.

Certains s’excitent sur leur chaise. Dix pour cent de croissance en plus ? Vivement une bonne guerre ! Du calme. Outre l’immoralité crasse qui caractérise cette assertion, elle est fausse la plupart du temps. Une entrée en guerre peut dynamiser certains secteurs industriels, mais pas tous :  la construction automobile russe a chuté de 67%. Et puis la guerre étouffe la consommation des ménages et freine l’activité de services. Quand les bombes sifflent, on n’a pas trop envie d’aller au restaurant ou de faire un mini-trip. La consommation des ménages russes aurait chuté d’une dizaine de pour cent (chiffres à prendre avec des pincettes, car il n’y a plus de statistiques officielles) par rapport à ce qu’elle était avant-guerre.

La qualité de la croissance induite par la guerre pose également question. Si l’on avait consacré l’argent des chars à bâtir des infrastructures, à former davantage les gens, à améliorer leur bien-être, ces investissements seraient évidemment bien plus pérennes et utiles à la population. D’autant qu’en temps de paix, les échanges internationaux sont plus faciles et soutiennent là aussi l’économie.

Il y a donc une morale, malgré tout : si l’effort de guerre permet de faire progresser certaines activités, la paix reste quand même le meilleur moyen de soutenir l’économie. Selon le FMI, si la Russie n’était pas entrée en guerre, en 2027, son PIB aurait affiché une croissance supérieure de 7% à la croissance qu’elle devrait avoir.

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