Vague libertarienne en Amérique latine?

Javier Milei: le premier président ouvertement libertarien d’Amérique latine pourraient être suivi par d’autres.
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La politique latino-américaine devient de plus en plus complexe. L‘ancien clivage entre la gauche et la droite pourrait être bouleversé en 2024.

L’Amérique latine est depuis longtemps dominée par des partis politiques de gauche. Lors du boom des matières premières au début des années 2000, une série de gouvernements de gauche de la région furent réunis sous le vocable commun de “marée rose” du fait de leurs politiques étatistes et leurs généreuses aides sociales soutenues par un afflux soudain de liquidités. Cette marée rose fut toutefois suivie d‘une “marée bleue” de dirigeants de droite, tels que Mauricio Macri en Argentine et Jair Bolsonaro au Brésil.

Au début de l’année 2023, il semblait qu’une nouvelle ère de politique progressiste s’était ouverte puisque 12 pays sur 19 étaient dirigés par des gouvernements de gauche. Cela représentait 92 % de la population de la région et 90 % de son produit intérieur brut. Mais 2024 semble être l’année où les anciennes divisions entre la gauche et la droite s‘estomperont. Et la politique dans la région deviendra beaucoup plus compliquée.

Première mondiale

La première raison est l’élection, en Argentine, de Javier Milei. Se décrivant lui-même comme un “anarcho-capitaliste”, ce libertaire radical affrontait Sergio Massa, le ministre de l’économie, lors du second tour de l’élection présidentielle, le 19 novembre dernier. Sa victoire fait de M. Milei le premier président ouvertement libertarien d’Amérique latine (et, en fait, du monde). Son ascension a été fulgurante, bouleversant le statu quo en Argentine, pays longtemps dominé par le populisme de gauche du mouvement péroniste. Son attrait est dû en grande partie au fait qu’il jouait les outsiders : cet économiste de formation et ancien présentateur de télévision n’est entré au Parlement argentin qu’en 2021…


Durant la campagne, M. Milei aura souvent parlé sur un mode très populiste. Mais ses propositions étaient bien plus vastes et radicales que celles de la plupart des populistes de droite. Elles comprennent la dollarisation de l‘économie argentine (et la suppression de la banque centrale), la réduction des dépenses publiques d‘au moins 15 % du PIB et la réduction du nombre de ministères de 18 à 8. Milei a également manifesté sa volonté d‘atteindre un déficit primaire zéro (c’est-à-dire avant paiement des intérêts) d‘ici un an. Bien qu’il soit favorable au libre-échange, le nouveau président a préconisé de retirer l’Argentine du Mercosur, cet accord de libre-échange liant une dizaine de pays de la région. Et il a régulièrement dénoncé les gouvernements du Brésil et de la Chine, les deux principaux partenaires commerciaux de l’Argentine, pour leur gauchisme.

La deuxième raison de cette nouvelle complexité est que de nombreux gouvernements de gauche abordent l’année 2024 avec des mandats beaucoup plus faibles. Prenons le cas du Mexique. Les élections présidentielles auront lieu en juin. Claudia Sheinbaum, du parti Morena au pouvoir, a toutes les chances de l’emporter. Mme Sheinbaum est considérée comme la successeure triée sur le volet d’Andrés Manuel López Obrador, le président depuis 2018 qui a combiné une rhétorique de gauche avec une politique fiscale de faucon. Bien que la plupart des Mexicains estiment que son bilan sur des questions telles que la sécurité publique, la corruption et l’économie est médiocre, elle jouit d’un taux d’approbation élevé, supérieur à 60 %. Il est pourtant peu probable que Mme Sheinbaum, si elle gagne, soit en mesure de conserver un tel soutien. Elle devra faire des compromis, travailler avec l’opposition et, par conséquent, freiner certains de ses projets les plus radicaux.

Fragiles mandats

De même, en Colombie, certains pensent que le gouvernement de Gustavo Petro, le premier président de gauche avoué du pays, a peu de chances de durer jusqu’à la fin de son mandat en 2026. M. Petro a remanié son cabinet en avril 2023, afin de tenter de faire passer ses réformes ambitieuses des systèmes fiscaux, de santé et de retraite. Mais ses efforts ont été contrariés. Jusqu’à présent, seule la réforme fiscale a été adoptée, dans une version édulcorée. M. Petro a également été terni par des scandales impliquant des membres de sa famille et de son entourage.

Au Chili, Gabriel Boric, un social-démocrate millénial arrivé au pouvoir à la suite d‘immenses manifestations contre les inégalités, a vu sa cote de popularité baisser en raison de la hausse de la criminalité et de l’affaiblissement de l‘économie. Il a également soutenu une tentative de réécriture de la constitution chilienne qui a échoué, 61 % des électeurs l’ayant rejetée lors d‘un plébiscite en 2022, beaucoup d’entre eux estimant qu’elle penchait trop à gauche. Un vote sur un nouveau projet était prévu en décembre de cette année. M. Boric s‘est entouré de politiciens compétents, mais les querelles autour de la constitution ont assombri sa présidence et limité ses succès.


Il semble donc peu probable que de nouvelles marées, roses ou bleues, balaient la région en 2024. Au contraire, l’Amérique latine semble promise à un avenir politique contrasté.
La plus grande question est peut-être de savoir si d’autres pays suivront l‘exemple de l’Argentine – et incluront un joker comme M. Milei dans le mélange.

Emma Hogan, rédactrice pour les Amériques de “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”

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