Un mois de Trump: les ingénieurs du chaos au pouvoir, à leur profit
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Le président américain cultive l’art de la provocation permanente et de le déstabilisation en jouant sur l’incohérence. En qualifiant Zelensky de “dictateur sans élections”, il choisit son camp, celui des autocrates et des puissants. Tensions, fake news, propos à l’emporte-pièce…: tout est calculé. Mais nous sommes aussi entrés dans une logique de “clans”.
Voilà un mois que le président américain Donald Trump est à la Maison-Blanche et le monde n’est déjà plus le même qu’avant. Du moins, c’est la perception que l’on en a et qu’il entend donner avec ses dizaines de décrets présidentiels signés d’un gros marqueur noir et ses innombrables déclarations à l’emporte-pièce.
Après avoir profité d’une pression commune avec l’administration Biden pour obtenir un cessez-le-feu au Proche-Orient et débuter la libération des otages, Donald Trump s’est empressé de changer de ton en reçevant son homologue israélien Benyamin Netanhyaou et en déclarant vouloir faire de Gaza une “Côte d’Azur du Moyen Orient” en délogeant les Palestiniens vers la Jordanie et l’Egypte.
Ayant pris la question ukrainienne à bras-le-corps, il renoue directement avec la Russie de Vladimir Poutine, écarte les Européens et les Ukrainiens, pour fustiger le président du pays agressé quand celui-ci ose le critique, le qualifiant de “dictateur sans élections”. La paix qu’il veut mettre en oeuvre s’annonce sous d’inquiétants auspices et les Europens ont enfin un sentiment d’urgence.
Tensions, fake news et “liberté de penser”
Ce qui frappe, c’est évidemment la proximité affichée avec les autocrates qu’il admire effectivement. Son homologue russe se déclare impatient de le rencontrer et souligne malicieusement que ce doit être le cas pour Trump également. De là à penser que le locataire de la Maison-Blanche est l’homme de Moscou…
Avant cela, n’avait-il pas singé leur comportement en s’en prenant au Groenland, au canal de Panama, au Canada présenté comme le futur “51e Etat des Etats-Unis”? L’indignation provoquée par Donald Trump est permanente. C’est ce qu’il recherche en multipliant aussi les menaces de guerres commerciales avec la terre entière.
A vrai dire, ce n’est pas une surprise. Le journaliste italien Giuliano da Empoli avait bien cerné le sujet dans son essai “Les ingénieurs du chaos”, publie en 2019. “Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat, soulignait-il alors. Pourtant, derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir.”
Il précisait: “Les tensions qu’ils produisent au niveau international sont l’illustration de leur indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté de penser.” Le président américain réélu, dans sa version 2.0, veut évidemment rompre avec tout ce que l’administration Biden défendait. D’où sa position sur l’Ukraine. Mais les “accommodements” avec Poutine ne datent pas d’hier et ont été façonnés par ce que le dictateur russe sait de lui, aussi…
Une incohérence délibérée?
L’incohérence ou la “folie” de Trump serait-elle délibérée? C’est une façon de brouiller les pistes en permanence, afin de désorienter l’interlocuteur et de générer le chaos dans la négociation. Au sujet de l’Ukraine, les divisions sont réelles au sein meme de son administration entre le clan classique antirusse et les partisans de Poutine.
“Cette incohérence peut être le reflet de véritables divisions internes entre ces deux courants, mais il ne faut pas exclure qu’elle soit aussi une stratégie délibérée, analysait dans Le Soir Simone Rodans-Benzaquen, directrice générale de l’American Jewish Committe européen. Trump fonctionne par rapport de force et imprévisibilité, ce qui lui permet de garder toutes les options ouvertes.”
Cette volonté de générer les tensions en permanence et de jouer les rapports de force est le propre de ces “ingénieurs du chaos”. N’oublions pas non plus qu’ils entendent jouer du pouvoir… à leur profit.
La quête de terres rares, de ressources naturelles, de développements immobiliers ou de tout ce qui peut servir son “America First” se trouve au coeur de la raison d’être du clan Trump. Il ne s’exprime pas autrement au sujet de l’Ukraine qu’il entend exploiter ou de la Russie où il entend investir.
Cette logique de clan et de profits risque, aussi, de générer un retour de bâton. Entre puissants et dictateurs, on deale, mais on se confronte, aussi. La théorie du chaos pourrait être effective, jusqu’au bout. Un analyste américain ironisait hier en affirmant qu’à force de se livrer à cette musculation permanente, Donald Trump pourrait un jour… se retrouver seul.
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