Ukraine : Nous approchons de notre « moment Munich »
Alors que le soutien occidental à l’Ukraine s’épuise, il est urgent, si nous voulons éviter le chaos, d’entrer dans une économie de guerre.
Le 30 septembre 1938, la France et le Royaume-Uni signaient avec l’Allemagne et l’Italie les accords de Munich. Face à l’intransigeance d’Adolf Hitler, le premier ministre britannique Neville Chamberlain et le président du Conseil français Edouard Daladier permettaient à l’Allemagne d’annexer une partie de la Tchécoslovaquie, pays avec lequel les deux démocraties avaient pourtant un accord d’entraide.
En rentrant dans leur pays respectif, Daladier et Chamberlain furent fêtés. Ils avaient évité la guerre, et l’on pouvait continuer à reconstruire une économie dévastée par la crise de 1929-1932 ! Un an plus tard, encouragé par la faiblesse de Londres et de Paris, Hitler lançait ses armées contre la Pologne et la deuxième guerre mondiale éclatait.
Nous sommes littéralement désarmés
N’est-on pas en train de revivre un « moment Munich » ? Personne de sensé ne souhaite un conflit. Les peuples des démocraties occidentales, aux prises avec leurs problèmes de politique migratoire, de pouvoir d’achat, de transition énergétique, le souhaitent encore moins que quiconque. Mais à force de ne pas se préparer au pire, n’augmente-t-on pas la possibilité qu’il advienne ?
Voici quelques jours, sur le plateau de Canvas, le Lieutenant Général Marc Thys, désormais retraité, rappelait nos limites si jamais nous devions entrer en guerre demain. « J’avais 15 millions d’euros par an pour acheter des munitions. Ce montant est désormais porté à 150 millions d’euros. Si nous voulons pouvoir combattre pendant 30 à 60 jours, il nous faut 5 à 7 milliards. Si la guerre éclate ici, nous serons obligés de jeter des pierres au bout de quelques heures seulement, faute de munitions ». Nous sommes littéralement désarmés.
Moment charnière
La guerre n’a pas éclaté, mais elle est à nos portes et le soutien à l’Ukraine faiblit dangereusement. Du côté américain, un Congrès très divisé éprouve le plus grand mal à voter un nouveau paquet d’aides aux Ukrainiens. Du côté européen, le veto du Hongrois Viktor Orban à l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne et ses manœuvres dilatoires pour retarder l’envoi d’une aide de 50 milliards à Kiev ne semblent qu’être les prémices de ce qui pourrait se passer dans un futur proche. Qu’attendre de l’Union européenne si, à l’issue des élections de l’an prochain, l’un ou l’autre pays de l’Union se retrouvait avec une majorité d’extrême droite constituée de personnalités « pro Poutine » ou, plus simplement hostiles à la poursuite de l’aide à l’Ukraine ?
Nous sommes aujourd’hui à un moment charnière. Sur le plan politique, les élections qui se profilent dans quelques mois ne semblent pas s’engager de la meilleure manière. Géostratégiquement, l’Union européenne est partiellement isolée. Les Etats-Unis sont désormais politiquement si polarisés qu’ils ne parviennent même plus à gérer leur budget. La Turquie, pourtant membre de l’OTAN, joue un double jeu qui favorise dans les faits l’économie russe. Et industriellement, la machine de guerre européenne, à l’arrêt depuis 40 ans, a du mal à redémarrer et à produire en quantité suffisante les munitions dont l’Ukraine a besoin.
Economie de guerre
Le commissaire européen en charge de cette industrie, Thierry Breton, reste optimiste. Il avait promis que l’industrie européenne monterait en capacité pour pouvoir produire en mars prochain 1 million d’obus par an, ce qui ne répondrait qu’à un tiers des besoins ukrainiens, qui sont de 3 millions. « Nous sommes très avancés » dans la réalisation de cet objectif, disait-il mi- novembre. Mais au même moment, le ministre allemand de la Défense Boris Pistorius rétorquait : “Il est légitime de penser que l’objectif du million d’obus ne sera pas atteint”. Un détail qui en dit long : selon le Washington Post, la Corée du Sud a jusqu’à, présent fourni à l’Ukraine davantage d’obus que tous les pays européens réunis. Pourquoi ? Parce que Séoul, depuis des décennies, se prépare à l’éventualité d’une guerre avec la Corée du Nord et elle dispose d’une capacité industrielle qui permet de produire armes et munitions, rapidement en grande quantité, ce qui est la meilleure des dissuasions.
Nous nous situons aujourd’hui à un moment charnière : si nous voulons parer le risque de voir le conflit russo-ukrainien débarquer à nos portes, il convient de monter rapidement en puissance, de renforcer notre aide à l’Ukraine, de soutenir nos capacités de production et d’augmenter les capacités financières de l’Etat, à un moment où ce dernier est déjà très endetté. Ce sont des messages difficiles à faire passer en période électorale ? Oui. Mais offrir la population au risque d’un conflit élargi est plus insupportable encore. Le souvenir de Munich doit nous hanter. Le meilleur moyen de préserver la paix et notre mode de vie, aujourd’hui, est d’entrer dans une économie de guerre.
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