Ukraine: la destruction du barrage de Kakhovka menace le “grenier à blé de l’Europe”

Destruction barrage © Reuters
Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste

Terres agricoles inondées, brusque hausse des prix de l’alimentaire, problème d’approvisionnement en eau… L’économie ukrainienne boit la tasse après la destruction de l’un de ses barrages. Une catastrophe qui pourrait engendrer, à terme, de plus graves conséquences sur le grenier de l’Europe.

Au total, la destruction ce mardi 6 juin du barrage de Kakhovka aurait inondé plus de 600km2 dans la région de Kherson, sur la rive droite du fleuve Dniepr. Mais c’est toute l’économie agricole de la région (et plus encore) qui est aujourd’hui menacée. Si la Banque mondiale doit encore évaluer l’ampleur des dégâts, les perspectives économiques sont sombres pour le secteur agricole. Mais pas seulement: l’industrie, la pêche, les infrastructures… sont également victimes de ce désastre.

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Panique nucléaire…

L’un des points vitaux les plus scrutés en Ukraine en ce moment est la centrale nucléaire de Zaporijjia. Et pour cause: la destruction du barrage va inévitablement conduire à une baisse importante du niveau du Dniepr, en amont, et fait donc craindre une rupture de l’alimentation en eau de la centrale. Or, cette eau est indispensable puisqu’elle permet de refroidir le combustible des cœurs des réacteurs et ainsi éviter un accident de fusion et des rejets radioactifs dans l’environnement. Pour l’heure, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) rassure: les opérations de pompage devraient « pouvoir se poursuivre même si le niveau descendait au-dessous du seuil actuel de 12,7 mètres ».

Quand le barrage ne pourra plus être utilisé, la centrale nucléaire pourra avoir recours à « un grand bassin de rétention situé à proximité ainsi qu’à des réserves plus petites et à des puits sur place qui peuvent fournir de l’eau de refroidissement pour plusieurs mois », a précisé le chef de l’AIEA, Rafael Grossi.

Encore faut-il que ce bassin stratégique reste intact. Il ne faudrait pas qu’une autre salve d’attaques l’endommage. Donc même si la situation reste sous contrôle, elle demeure « très précaire et potentiellement dangereuse », insiste Rafael Grossi.

… et électrique?

Autre point important: actuellement, la centrale nucléaire de Zaporijjia ne produit pas d’électricité et son potentiel arrêt ne constitue donc pas une menace pour le système énergétique ukrainien. Cependant, la destruction du barrage et de la centrale hydroélectrique de Kakhovka soulève quant à elle des inquiétudes. Car même si à ce jour, aucune perturbation grave du réseau n’est à déplorer, les autorités redoutent les effets à long terme de ces événements. Pourront-elles, à l’avenir, continuer à établir un approvisionnement stable en électricité pour les consommateurs dans les territoires adjacents?

Un grenier sous eau

Mais le secteur qui a sans aucun doute le plus à craindre, c’est l’agriculture. Selon les premières estimations du ministère ukrainien de la Politique agraire et de l’Alimentation, 10.000 hectares de terres agricoles sur la rive droite du Dniepr dans la région de Kherson ont été touchés. La production de céréales (blé, avoine, maïs…) et d’huile de tournesol risquerait donc d’être impactée pour plusieurs années.

Outre les inondations, la baisse des niveaux d’eau dans le réservoir de Kakhovka pourrait également mettre en péril les canaux qui alimentent certaines régions agricoles vitales, comme Dnipropetrovsk, Kherson et Zaporijjia. Les autorités craignent en effet que la catastrophe mette fin à l’approvisionnement en eau de 31 systèmes d’irrigation qui alimentent environ 580.000 terrains de ces régions (chiffres de 2021). « Or, ces terres jouent un rôle central dans la production de légumes et de fruits destinés au marché intérieur », selon le Centre for Economic Strategy, un organisme de recherche non gouvernemental ukrainien.

Des pertes qui vont sans nul doute exercer une pression à la hausse sur les prix des denrées alimentaires en Ukraine. Le ministère redoute même que les terres agricoles de ces régions soient si fortement touchées qu’elles pourraient se transformer en « déserts ».

Alexei Konovalov/TASS/Sipa USA

Plusieurs industries dans la tourmente

La destruction du barrage de Kakhovka a également entraîné des pertes importantes pour l’industrie de la pêche, des estimations suggérant que la mort de poissons adultes à elle seule pourrait s’élever à 95.000 tonnes. En plus, la période de frai vient de s’achever dans la région et, en raison de la baisse du niveau de l’eau, les œufs de poissons vont se dessécher dans les zones désormais plus assez profondes. Sans compter sur les effets que la pollution pourrait avoir sur les écosystèmes fluviaux et maritimes: une grande quantité d’eau douce risque en effet d’être contaminée par des pesticides et d’autres produits agrochimiques provenant des zones inondées, qui se déverseront à leur tour dans la mer Noire via le fleuve. Au total, selon des calculs préliminaires, les dommages causés par la mort de toutes les ressources biologiques s’élèveront à 10,5 milliards d’UAH (devise ukrainienne), soit un peu plus de 260 millions d’euros.

L’économie russe commence à souffrir vraiment

Le secteur de la métallurgie essuie lui aussi quelques pertes. Déjà grandement impacté par la guerre, le plus grand producteur d’acier d’Ukraine, ArcelorMittal Kryvyi Rih, a notamment limité sa consommation d’eau et a déjà suspendu un certain nombre de processus de fabrication de l’acier. Presque tous les équipements refroidis à l’eau ont également été temporairement suspendus. Même constat dans les entreprises de ferroalliage et les usines d’extraction et d’enrichissement de la région (usines à Zaporijjia et Nikopol), qui ont également réduit leur consommation d’eau et leurs volumes de production.

Un désastre écologique

Mais au-delà de son impact économique, la destruction du barrage constitue un cataclysme environnemental dont l’ampleur reste difficile à mesurer. L’Ukraine parle d’un véritable « écocide ». Pollution chimique des sols et des nappes phréatiques, assèchement des terres… L’industrie et la croissance économique ne sont pas les seules victimes de ce désastre. L’environnement et les écosystèmes souffrent aujourd’hui, et subiront peut-être encore les effets d’une telle catastrophe dans les dizaines d’années à venir.

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