Trump risque de s’attribuer le mérite de l’essor économique américain
L’économie américaine est en plein essor. Mais, selon Matthias Matthijs, professeur à l’université américaine Johns Hopkins, le président Joe Biden ne parvient pas à le faire comprendre aux électeurs. Pourtant, avec sa transition verte, le président pourrait inverser la tendance, mais il est peut-être trop tard.
Une croissance solide, des emplois à profusion et des marchés boursiers en hausse: Joe Biden, le président des États-Unis, est en mesure de présenter un excellent rapport économique. Avec une croissance de 2,5 % d’ici 2023, l’économie américaine fait quatre fois mieux que celle de la zone euro.
Pourtant, comme le montrent les sondages, les électeurs américains ne l’apprécient pas. Ils sont nombreux à penser que leur économie est en mauvaise posture et que Joe Biden gère mal les choses. À première vue, le président démocrate aura du mal à battre son grand rival républicain, Donald Trump, pour la deuxième fois lors de l’élection présidentielle de novembre 2024.
“C’est le grand paradoxe de la politique actuelle aux États-Unis”, déclare Matthias Matthijs, professeur d’économie politique internationale à l’université Johns Hopkins de Washington D.C. “L’économie se porte extrêmement bien depuis deux ans, mais Joe Biden n’en récolte pas le mérite. La faute à l’inflation. L’alimentation, les restaurants, les soins de santé et les autres services : tout est devenu très cher sous Biden”.
Pourtant, l’inflation américaine a chuté de deux tiers depuis le pic de l’été 2022.
MATTTHIAS MATTTHIJS. “Oui, mais ce n’est pas ce que pensent les électeurs. L’inflation s’élève aujourd’hui à 3,4 %. Il y a un an, elle dépassait les 10 %. Mais l’électeur se dit : “Il y a trois ans, tout était beaucoup moins cher”.
L’inflation est à peu près le seul problème économique, n’est-ce pas ?
MATTTHIJS. “Oui, l’inflation a rongé la croissance des salaires réels et les taux d’intérêt ont augmenté, du moins pour ceux qui ont contracté un prêt hypothécaire au cours de l’année et demie écoulée. Les Américains contractent généralement un prêt hypothécaire de 30 ans avec un taux d’intérêt fixe. Nombreux sont ceux qui, comme moi, ont pu profiter de la faiblesse de ces taux. Début 2021, j’ai contracté un prêt hypothécaire sur 30 ans avec un taux d’intérêt historiquement bas de 2,5 %. Donc, comme beaucoup d’Américains, je ne m’inquiète pas des taux d’intérêt élevés”.
Malgré tout, Biden a les consommateurs contre lui.
MATTHIJS. “N’oubliez pas que les Américains n’ont pas connu d’inflation réelle depuis longtemps. Pour cela, il faut déjà remonter à la fin des années 1970, début des années 1980. La moitié de la population américaine actuelle n’était pas encore née à l’époque. Les États-Unis sont un pays jeune, avec une moyenne d’âge d’environ 39 ans. Pour cette « jeune » moitié des Américains, l’inflation actuelle est un grand choc, tandis qu’elle fait penser à la période difficile de la fin des années 70 et du début des années 80 pour l’autre moitié, les plus âgés. La perception qu’ils en ont est donc défavorable pour M. Biden.
Mais ce dernier n’a pas non plus donné d’explications, pas plus que son équipe de communication. Néanmoins, M. Biden a une belle histoire à raconter. Grâce au soutien du gouvernement dans le cadre de la loi sur les infrastructures et de la loi sur le climat, beaucoup d’argent a été investi dans l’économie. Cela crée des emplois supplémentaires et un faible taux de chômage, mais aussi de l’inflation…
La banque centrale américaine tente de freiner cette inflation, mais entre-temps, le parti républicain joue habilement sur ce thème : “Tout est devenu plus cher, et c’est la faute du ‘big government’ de Biden”. Des présidents comme Bill Clinton ou Ronald Reagan auraient pu s’en défendre. Mais Biden est trop rigide”.
Une grande partie des investissements prévus dans le cadre du projet de loi sur le climat – appelé de manière trompeuse “loi sur la réduction de l’inflation” – sont néanmoins destinés à des États républicains.
MATTHIJS. M. Biden mise délibérément sur ce qu’on appelle les “purple states” (États mauves) ou “swing states” (États à faible majorité républicaine). Si les investissements verts décollent dans ces États et créent beaucoup d’emplois et de richesses, des groupes se lèveront pour faire pression en faveur d’une expansion des investissements. La transition verte prendra ainsi un véritable élan dans les États républicains. La stratégie de Joe Biden est claire : la plupart des États républicains vivent d’industries à forte intensité de carbone. Je les appelle les “trois F” : farms, food, fuel (agriculture, alimentation, carburant). Pensez à l’agro-industrie dans le Wyoming ou l’Iowa, et au pétrole au Texas ou en Oklahoma”.
Si Biden y réussit cette transition verte, Trump aura perdu son électorat.
MATTHIJS. “C’est pourquoi la loi sur la réduction de l’inflation ne change pas seulement la donne dans la lutte contre le changement climatique mondial, mais aussi pour l’économie et la politique américaines. Les élections de 2024 offrent à Trump et aux républicains la dernière chance de défaire la loi sur la réduction de l’inflation. S’ils perdent cette élection, l’économie américaine sera complètement différente – beaucoup plus verte – d’ici 2028”.
La question est de savoir si la transition verte et ses bienfaits arriveront à temps pour que Biden et si les démocrates gagneront les élections de novembre ?
MATTHIJS. “Je le crains. Il faut au moins quatre à cinq ans pour que les grands projets d’investissement fassent une différence visible sur le plan de l’emploi. De plus, Biden a un problème dont Trump a été épargné en tant que président : les guerres à l’étranger qui coûtent de l’argent aux contribuables américains. « M. Biden offre, avec notre argent, une aide militaire à l’Ukraine pour défendre sa frontière avec la Russie, mais ne fait rien pour défendre notre frontière avec le Mexique. Au moins, Trump ne s’est pas engagé dans des aventures à l’étranger », pensent les électeurs. Le fait que Biden n’ait pas commencé ces guerres, mais qu’il y ait été entraîné ne change pas grand-chose pour les électeurs”.
En décembre, le taux de chômage américain atteignait à peine 3,7 %. Derrière ce chiffre apparemment parfait se cache-t-il encore un faible taux de participation à la population active ?
MATTTHIJS. “Pendant la pandémie du Covid, de nombreux travailleurs ont baissé les bras, ils ne cherchent plus de travail. Il s’agit souvent de personnes âgées ou de jeunes femmes avec des enfants. Cela fait baisser le chômage. Un autre problème est la différence de niveau de vie entre les villes côtières riches et les zones rurales pauvres. La loi sur la réduction de l’inflation vise à corriger ce déséquilibre en créant des emplois sains et bien rémunérés dans des secteurs durables. Mais comme nous l’avons dit, les projets d’investissement entrent en vigueur, mais n’ont pas encore créé beaucoup d’emplois.
En attendant, la loi sur les infrastructures crée-t-elle déjà des emplois ? Cette loi – dans son intégralité l’Infrastructure Investment and Jobs Act – a été adoptée en novembre 2021, presque un an avant la loi sur la réduction de l’inflation.
MATTHIJS. “Cette loi devrait renouveler les infrastructures laissées à l’abandon, comme les ponts et les routes. Mais le problème reste le même : il faut du temps avant que le chantier ait démarré et surtout soit bien avancé. Entre-temps, des projets ont déjà été lancés, mais pour l’instant, ils causent beaucoup de désagréments aux navetteurs.”
Conclusion : Biden ne pourra pas récolter les fruits, en termes de votes, de sa politique économique.
MATTHIJS. “L’économie américaine est en plein essor sous Biden, mais Trump menace de s’emparer des lauriers. Biden n’a plus le pouvoir ou la force de contre-attaquer. Trump, lui, a toujours ce pouvoir. C’est ce qu’il y a d’injuste dans le fait de vieillir. Certains restent en bonne forme, d’autres moins. Non pas que Trump soit en pleine santé, mais il dégage une sorte d’énergie. On ne peut pas en dire autant de Biden. Récemment, il a conclu un discours devant ses partisans politiques en disant : “Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, je vais me coucher”. Ce n’est pas l’image que l’on veut avoir d’un président frais et dispos. Mais la route est encore longue. Il peut encore se passer beaucoup de choses au cours des neuf prochains mois”.
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