L’issue du plus sanglant conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale s’esquissera-t-elle vendredi, à 7 500 km de Kiev ? Donald Trump et Vladimir Poutine se retrouvent à Anchorage, en Alaska, pour un tête-à-tête déjà qualifié d’historique.
Le président américain, peu connu pour sa prudence, s’efforce pourtant de tempérer les attentes. Il y a peu, il affirmait pouvoir mettre fin à la guerre en Ukraine “en un clin d’œil”.
Le républicain de 79 ans a déclaré lundi vouloir “tâter le terrain” lors de cette première rencontre en personne avec le maître du Kremlin depuis 2019. Cette entrevue fait suite à de nombreux coups de fil depuis son retour au pouvoir en janvier. La porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, assure qu’il s’agira “d’écouter” Vladimir Poutine — un point fortement souligné par Washington.
Ce sommet, en l’absence de Volodymyr Zelensky, n’est évidemment pas une conférence de paix.
Un invité sous mandat d’arrêt international
Vladimir Poutine se rend en Alaska alors qu’il est visé par un mandat d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. En théorie, cette décision devrait contraindre tout pays membre à l’arrêter et à le remettre à la justice internationale. Mais aux États-Unis, il ne risque rien : Washington n’a jamais reconnu la légitimité de la CPI, refusant de lui accorder compétence, notamment pour éviter que des responsables militaires ou politiques américains puissent eux aussi être arrêtés.
Risques d’un nouveau Yalta
Tout l’enjeu, pour le président ukrainien et les Européens, est qu’Anchorage ne devienne pas une sorte de Yalta, une réunion durant laquelle les grandes puissances délimitent des territoires et des zones d’influence — à l’image de celle de février 1945 entre États-Unis, Royaume-Uni et Union soviétique.
« Les dirigeants européens ont bien compris que celui qui parle en dernier à Donald Trump fait la plus forte impression », explique Liana Fix, historienne et politologue, Fellow pour l’Europe au Council on Foreign Relations (cfr.org). D’autant plus quand l’autre dirigeant exerce un pouvoir autoritaire qui fascine le républicain de 79 ans.

Le président américain, qui avait rompu l’isolement diplomatique de Vladimir Poutine dès son retour à la Maison-Blanche, a laissé éclater récemment son impatience face aux attaques particulièrement brutales menées contre l’Ukraine. Il s’est dit “déçu” par son homologue russe.
Le lui exprimera-t-il en face-à-face ? Ou se retournera-t-il, après la réunion, contre Volodymyr Zelensky ? Il a en effet souvent accusé le chef d’État ukrainien de faire obstacle à la fin du conflit déclenché en février 2022 par l’invasion russe.
Territoires et symboles
Le président américain, qui n’a jamais attribué la responsabilité de la guerre à Moscou, s’est dit lundi “contrarié” par le refus opposé par Kiev à ce qu’il appelle un éventuel “échange” de territoires — alors que la Russie occupe environ 20 % du territoire ukrainien.
L’État où les deux hommes se retrouvent, l’Alaska, a lui-même changé de mains : il a été racheté par les États-Unis à la Russie au XIXᵉ siècle.
Le milliardaire semble tiraillé entre deux instincts opposés. D’une part, la tentation de marquer les esprits vendredi avec des annonces éclatantes — même vagues — lui permettant de se présenter comme un « faiseur de paix ». D’autre part, la volonté de ne pas passer pour le “caniche” de Vladimir Poutine, surnom que lui attribuent ses opposants, en référence au sommet de Helsinki en 2018, marqué par une connivence visible entre les deux dirigeants.
Selon Volodymyr Zelensky, le simple fait que la rencontre se tienne en Alaska constitue déjà une “victoire” pour le dirigeant russe.
Poser un cadre – mais pas forcément agir
Vladimir Poutine n’a “rien offert de significatif” pour obtenir cette entrevue, rappelle à l’AFP l’analyste politique russe Konstantin Kalachev.
« Une réunion n’est pas une concession », a rétorqué le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio. Donald Trump a jugé qu’il était “très respectueux” de la part du dirigeant russe de venir sur un territoire américain.
Selon George Beebe, ancien spécialiste de la Russie à la CIA et désormais directeur du programme Grand Strategy au Quincy Institute for Responsible Statecraft (quincyinst.org), dans le meilleur des cas, le sommet de vendredi “posera un cadre pour la poursuite de négociations”. Il estime que, par exemple, la Russie pourrait accepter que l’Ukraine rejoigne l’Union européenne si elle renonçait à intégrer l’OTAN.
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Plus délicate restera la question des concessions territoriales, alors que l’armée russe progresse en Ukraine. Moscou réclame quatre régions partiellement occupées (Donetsk, Lougansk, Zaporijjia et Kherson), en plus de la Crimée annexée en 2014, des exigences inacceptables pour Kiev.
Donald Trump a promis qu’il parlerait à Volodymyr Zelensky et aux Européens après son entrevue avec Vladimir Poutine. « Peut-être que je leur dirai “Bonne chance, continuez à vous battre”. Ou peut-être que je leur dirai “nous pouvons trouver un accord” », a-t-il lancé lundi.