Les données statistiques sont la boussole sans laquelle la politique économique et monétaire d’un pays serait bien en peine d’être menée. Si vous ne savez pas si les prix à la consommation montent ou descendent, si le chômage avance ou recule, vous êtes bien en peine de décider, par exemple, le niveau de vos taux d’intérêt.
Or, aux Etats-Unis, la boussole statistique a de plus en plus de mal à fonctionner parce qu’elle est déroutée par un pôle magnétique qui s’appelle Donald Trump. Plus précisément, les interférences politiques de l’actuelle administration mettent à mal les activités du BLS (Bureau of Labor Satistics), l’agence qui récolte les données d’inflation et de chômage, notamment.
Effet DOGE
Cette administration qui se plaignait déjà, sous le présidence de Joe Biden, de ne pas avoir assez de moyens, a été mise en coupe réglée dès le retour de Donald Trump à la Présidence. Le BLS a fait l’objet de toute l’attention du DOGE d’Elon Musk, le département d’efficacité gouvernementale chargé de sabrer dans les effectifs de l’administration.
Erika McEntarfer, l’ancienne commissaire du BLS, limogée par Donald Trump parce que les chiffres de l’emploi n’étaient pas bons, a expliqué voici quelques jours dans un premier discours public depuis son départ forcé, que les économies exigées par le DOGE avaient eu pour conséquence de réduire de 20 % le personnel du BLS. « Nous étions en panique, essayant de comprendre opérationnellement comment nous allions passer la semaine suivante », se souvient-elle.
Une des conséquences de cette attrition concerne directement la fiabilité des données d’inflation. Chaque mois, les fonctionnaires du BLS recueillent 90.000 prix dans 200 catégories de biens et de services un peu partout aux Etats-Unis. Un travail de fourmis, mais sans lequel il est impossible d’avoir une idée claire de l’évolution des prix à la consommation. Certes, il est pratiquement impossible d’avoir chaque mois la liste exhaustive de ces 90.000 prix. Traditionnellement, 10% des données manquent, et les prix manquants sont fixés par « imputation », sur base de la tendance.
Imputations en hausse
Mais les réductions de personnel voulues par la Maison Blanche ont fait passer le pourcentage de données manquantes à 32% en juillet et à 36% fin août ! Un tiers des produits du panier de la ménagère qui sert de base au calcul de l’inflation n’est donc plus collecté. Ce qui fait peser sur les chiffres d’inflation américaine des doutes de plus en plus sévères.
A cela s’ajoute l’intrusion politique directe, dont Erika McEntarfer, économiste qui avait été nommée en 2024 au BLS par un large vote bipartisan, a été victime. La commissaire avait, en juillet dernier, fait parvenir au gouvernement des chiffres de l’emploi très décevants. Les statistiques faisaient état de « seulement » 73.000 créations de jobs en juillet et surtout révisaient à la baisse, très fortement (-258.000), les chiffres de mai et de juin. Donald Trump, furieux, décidait de limoger Erika McEntarfer quelques heures plus tard.
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Erika McEntarfer est revenue cette semaine sur cet épisode dans un discours tenu à l’occasion de la rentrée académique de son ancienne université, le Bard College, à New York. Elle a expliqué que ce type de brusque révision des chiffres de l’emploi était certes un « événement inhabituel », mais pas « sans précédent ». Elle a indiqué que cela « se produit généralement lorsque le marché du travail ralentit soudainement », ce qui semble être le cas puisque, d’un côté, la main d’œuvre immigrée a été expulsée des Etats-Unis (ce qui a mis à l’arrêt le secteur de la construction, entre autres) et que, de l’autre, les entreprises américaines hésitent à embaucher.
Les tarifs douaniers jouent en effet pour elles le rôle d’une forte hausse d’impôt, car la hausse tarifaire sur les produits importés aux Etats-Unis est digérée d’abord par les importateurs américains, puis par les consommateurs américains puis, à hauteur de 15-20%, par les exportateurs étrangers.
Gestionnaire de trafic
Erika McEntarfer compare les données régulièrement récoltées par le BLS aux gestionnaires de trafic qui vérifient la bonne marche des feux de signalisation afin de fluidifier la circulation et d’éviter tout accident. « La raison pour laquelle mon licenciement a fait grand bruit est que personne ne pense que ce sera bon pour notre économie si nous commençons à manipuler ces feux de signalisation », dit-elle.
Cela ne devrait pas empêcher l’administration actuelle d’essayer de flatter les statistiques dans le sens voulu par l’actuel locataire de la Maison Blanche. Certains projets pourraient même s’attaquer à la constitution du PIB, cet indicateur de mesure de la création de richesse, afin, à nouveau de permettre d’afficher des statistiques plus clinquantes.