Trump, le “président Mikado” et la théorie des boomerangs

Geert Noels (Econopolis). "Une récession et une correction auront plus d’impact que des protestations dans la rue ou des commentaires désobligeants dans les médias." © BELGAIMAGE
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

L’économiste Geert Noels juge de façon très critique la manière dont Donald Trump joue avec l’ordre mondial, au risque que tout s’écroule, comme dans le jeu du Mikado. Les retours de bâton à ses politiques sont nombreux, dénonce-t-il. Démonstration.

Une période “révolutionnaire” avec, chaque jour, son “feu d’artifice”. L’économiste Geert Noels, CEO d’Econopolis, mesure bien que les 100 premiers jours d’un président constituent un moment décisif pour donner le rythme et imprimer le changement. Mais dans le cas de Donald Trump, cela va trop loin, au point qu’il l’a surnommé le “président Mikado” dans une note d’analyse.

“Vous connaissez le principe du jeu Mikado?”, entame l’économiste. Un ensemble de bâtonnets de couleurs sont dispersés sur une table, formant un imbroglio, chaque joueur devant à tour de rôle retirer l’un d’entre eux sans que l’ensemble ne s’écroule. En retirant trop vivement un de ces bâtonnets, on risque de faire s’écrouler le tout et on perd le jeu. Voilà une analyse qui résonne comme une mise en garde pour l’homme le plus puissant de la planète.

“L’ordre mondial déstabilisé”

“Ce n’est pas mon jeu préféré, mais la métaphore va vous aider, prolonge Geert Noels. L’ordre mondial ressemble à cet ensemble de bâtonnets : une série de rendez-vous, d’organisations, de flux commerciaux et financiers qui donnent l’impression d’être un chaos, mais forment en réalité un ensemble équilibré. On peut essayer de changer quelque chose, mais le risque est grand que d’autres choses bougent.” Voire que l’on détruise toute harmonie en se comportant de façon trop énergique.

“Donald Trump se comporte de la sorte depuis son élection, voilà pourquoi je l’ai surnommé le président Mikado”, ajoute l’économiste. Il “déstabilise l’ordre mondial” au risque de le faire exploser. À côté de lui, Elon Musk “apporte la stratégie disruptive de la Silicon Valley à Washington” pour tout balayer – et dans le cas du milliardaire, cela se fait sans mandat de l’électeur. Et cela provoque des dégâts.

“La politique de Trump/Musk est complètement unilatérale, estime Geert Noels. Tout est analysé uniquement du point de vue américain, sans évaluer les avantages indirects des ‘faiblesses’ perçues.” Sans regarder, en somme, l’apport des relations avec des partenaires de commerce ou de diplomatie. C’est la loi du plus fort.

La théorie des boomerangs

En se comportant de la sorte, le “président Mikado” s’expose aux retours de bâton à plusieurs égards : commerce, géopolitique, finances publiques, structure financière… Au bout du compte, ce sont les fondements mêmes de son pouvoir et sa popularité que “Mikado” pourrait saper. Le CEO d’Econopolis démontre cela de façon méthodique.

Le commerce est le premier talon d’Achille. Donald Trump veut décider de barrières douanières importantes pour mettre un terme à un déficit important avec la Chine, l’Union européenne, le Mexique ou le Vietnam.

  • Boomerang 1 : l’inflation. “Plus de 80 % des produits importés de Walmart viennent de Chine”, illustre Geert Noels.
  • Boomerang 2 : un dollar faible. “Les pays qui réalisent un surplus commercial sont aussi les plus gros acheteurs de dette américaine”, précise l’économiste.
  • Boomerang 3 : “les multinationales américaines fonctionnent avec un réseau mondial de filiales”, qui se trouve forcément endommagé par ces hausses. À l’époque de la mondialisation, les chaînes de valeur sont complexes. La vision Trump/Musk n’en tient pas compte.

La géopolitique est le deuxième point de faiblesse. Pas uniquement parce que l’on parle d’un climat de guerre ou de paix, mais bien sur le plan strictement économique. Donald Trump estime que l’Otan est “un instrument destiné à ce que l’on profite des États-Unis”, et qui pourrait donc être supprimé.

  • Boomerang 1 : “les gouvernements achètent des produits militaires américains”, l’industrie américaine souffrirait de sa suppression.
  • Boomerang 2 : “la pax americana a un impact positif sur de nombreuses entreprises comme Starbucks, McDonald’s, Nike ou Coca-Cola, un déficit de sympathie inciterait de nombreux clients à fermer leur portefeuille”. Les déconvenues subies par Tesla en raison du comportement excentrique d’Elon Musk en témoignent déjà.

Le troisième risque est lié aux finances publiques. Elon Musk agit tel un bulldozer pour remettre de l’ordre dans les dépenses via son département de l’efficacité gouvernementale.

  • Boomerang 1 : les dépenses publiques font bien partie du PNB et l’impact de ces licenciements massifs risque d’être important sur la confiance des ménages et le pouvoir d’achat.
  • Boomerang 2 : une dérive s’amorce vers un “capitalisme de connivence” laissant de côté les progressistes, ce qui risque de laisser une part de la société de côté.
  • Boomerang 3 : “à long terme, ces réductions d’effectifs dans l’appareil de l’État peuvent tout simplement miner la société américaine et l’économie”.
“Ces réductions d’effectifs dans l’appareil de l’État peuvent tout simplement miner la société américaine et l’économie.”

Quatrième niveau de danger : les finances, que le duo Trump/Musk sape en dénonçant l’indépendance de la Réserve fédérale (Fed) ou en misant sur les cryptomonnaies.

  • Boomerang 1 : “en supprimant la Fed, ils diminueraient la stabilité du système financier américain, avec des conséquences systémiques pour les grandes banques comme JP Morgan, Morgan Stanley et Goldman Sachs, mais aussi pour les obligations américaines et le dollar.”
  • Boomerang 2 : la conséquence pourrait être, là encore, une relance de l’inflation.
  • Boomerang 3 : cette politique décrédibiliserait le dollar et renforcerait la crédibilité d’autres monnaies, notamment celles des BRICS.

Quatre pressions importantes

Le “président Mikado” subit déjà le contrecoup de ces audaces, constate Geert Noels. La récession est en vue avec des prévisions de croissance pour le premier trimestre 2025 descendues à – 2,8 % début mars contre encore + 2,3 % fin février : “une des plus grandes révisions jamais vues”.

Les marchés ont abandonné leur optimisme initial avec une révision importante sur les actions liées à Donald Trump et Elon Musk. “Ils créent eux-mêmes leurs propres adversaires”, déplore l’économiste. D’ailleurs, la popularité du président américain descend elle-même à une rapidité rarement vue. En outre, les tensions au sein même du parti républicain sont en train de monter, comme en témoigne le récit fait par le New York Times des oppositions frontales et brutales impliquant notamment le secrétaire d’État Marco Rubio au sujet de la suspension des aides internationales.

Conclusion du CEO d’Econopolis : “Il est important de garder à l’œil que les ‘actions’ sont suivies de ‘réactions’. Il ne faut pas non plus oublier qu’il s’agit là davantage d’une vision Trump/Musk. Et non pas d’une vision à long terme des États-Unis. Si les conséquences attendues de cette stratégie Mikado remontent à la surface, on peut s’attendre à des résistances structurées venues de plusieurs bords. La seule langue que Trump comprend vraiment, c’est celle de l’économie et de Wall Street. Une récession et une correction auront plus d’impact que des protestations dans la rue ou des commentaires désobligeants dans les médias.” Bref, la catastrophe peut être évitée.

Le “président Mikado” et Elon “Ketamine” Musk jouent toutefois à un jeu dangereux. Et on ignore s’ils en maîtrisent toutes les règles. Geert Noels termine en soulignant qu’il s’agit, aussi, d’une opportunité pour l’Europe de reprendre un leadership soudain déserté.

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