Trump et l’avion qatari : un cadeau à 400 millions qui fait scandale

Le Qatar souhaite offrir un Boeing à 400 millions d’euros aux États-Unis. Un cadeau spectaculaire, aussi symbolique que controversé, tant il soulève d’importants enjeux économiques et géopolitiques.
L’information a provoqué une onde de choc à Washington. Donald Trump serait sur le point d’accepter un avion de luxe offert par la famille royale du Qatar. L’appareil est un Boeing 747-8 d’une valeur estimée à 400 millions de dollars. Ce qui en fait l’un des plus importants cadeaux jamais proposés à un président américain. L’idée est qu’il remplace Air Force One de manière provisoire avant d’être transféré, en fin de mandat, à la fondation de Trump.
Est-ce bien légal ?
Juridiquement, la Maison-Blanche affirme être dans les clous. Le cadeau ne serait pas destiné directement à Trump, mais à l’État américain, puis à une fondation. Une ligne de défense fragile, selon de nombreux juristes. Ils dénoncent une instrumentalisation de la loi et parlent de « corruption à ciel ouvert ». Ils évoquent un possible contournement de la clause constitutionnelle sur les “émoluments”. Soit l’interdiction pour tout responsable public de recevoir un cadeau d’un État étranger sans l’aval du Congrès.
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Un cadeau qui va coûter cher
Au-delà de l’angle institutionnel, c’est aussi l’aspect économique de l’affaire qui interpelle. Pourtant, nul ne conteste que la flotte actuelle est datée (les avions datent de 1990) et que la livraison des nouveaux appareils se fait attendre.
Boeing avait pourtant promis en 2018 et pour 3,9 milliards de dollars de livrer deux nouveaux appareils à l’administration américaine avant fin 2024. Mais l’entreprise aéronautique américaine, empêtrée dans des problèmes économiques et de qualité de production, accumule les retards. A cela se sont ajoutés des modifications du projet, notamment réclamées par Donald Trump lors de son premier mandat, la faillite d’un sous-traitant ainsi que la pandémie de Covid-19 et les problèmes d’approvisionnement qui ont suivi. Tout cela a repoussé le calendrier.
Or, depuis son retour au pouvoir, Donald Trump a plusieurs fois pesté contre les coûts de maintenance importants de ces appareils vieillissants. Il avait même suggéré en février que le nouvel avion présidentiel pourrait venir “d’un autre pays”. Ce coup de pression supplémentaire pourrait donc aussi accélérer la livraison des deux nouveaux Air Force One.
Néanmoins cette “solution provisoire” qui comblerait un vide logistique face au retard de livraison de Boeing, ne sera pas exempte de frais.
Le 747-8, âgé de treize ans, devra être profondément modifié pour répondre aux normes de sécurité de la présidence américaine. Ces travaux, qui incluront notamment des systèmes de communication sécurisés et des équipements de défense, seront réalisés par l’entreprise L3Harris, spécialisée dans les technologies militaires.
Le mode d’obtention de ce contrat juteux et la rapidité de sa mise en œuvre soulèvent aussi de nombreuses questions quant à l’équité des appels d’offres. D’autant plus que le coût de cette transformation sera intégralement financé par l’US Air Force, autrement dit par les contribuables.
Un mélange des genres pour le moins hasardeux
L’autre point qui suscite quelques interrogations est le timing. Trump Organization vient d’annoncer un projet immobilier de 5,5 milliards de dollars… au Qatar. Pour les détracteurs de l’ancien président, difficile d’y voir une simple coïncidence. D’un côté, un avion offert sans contrepartie apparente ; de l’autre, des contrats privés juteux. Cette opération semble le énième exemple que, dans l’univers de Trump, la porosité entre affaires publiques et intérêts privés est bien réelle. D’autant plus que, selon les médias américains, il pourrait continuer à utiliser le nouvel avion après avoir quitté ses fonctions, car la propriété en serait alors transférée de l’Armée de l’air à sa fondation.
A sa décharge Trump ne serait pas le premier à envisager d’accepter un tel cadeau. Un même Boeing 747-8 Jumbo offert par le Qatar avait été impliqué dans un imbroglio en Turquie en 2018. Le président turc Recep Tayyip Erdogan l’avait décrit comme un “cadeau” au pays, alors que l’opposition l’accusait de l’avoir acheté pour satisfaire des envies de luxe personnelles.
Le luxe, l’ultime soft power
Côté qatari, cela n’a rien d’un simple geste de courtoisie. L’initiative s’inscrit dans une stratégie d’influence rodée. À l’image de ses investissements dans le sport, l’hôtellerie de luxe ou les médias internationaux, le Qatar utilise ses ressources financières pour se positionner comme un partenaire incontournable des grandes puissances. En offrant à Trump un symbole de pouvoir aussi visible qu’un Air Force One personnalisé, Doha cherche à renforcer son ancrage diplomatique à Washington, notamment dans un contexte de compétition régionale croissante avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Entre realpolitiks, stratégie industrielle et flou juridique, l’affaire de l’avion qatari risque de mettre sous une lumière peu flatteuse le manque de fermeté des garde-fous démocratiques. Ou tout du moins du peu de cas qu’en fait le président Trump.
En effet, si le gouvernement qatari affirme qu’aucune décision définitive n’a encore été prise, Donald Trump a lui d’ores et déjà salué l’initiative sur sa plateforme Truth Social, la qualifiant de “transaction publique et transparente”. Il vient encore d’enfoncer le clou en précisant qu’il serait “stupide” de refuser l’avion en passe d’être offert aux Etats-Unis par le Qatar. “Je pense que c’est un beau geste venant du Qatar. Je suis très reconnaissant. Je ne suis pas du genre à refuser une telle offre. Je pourrais être une personne stupide et dire +Non, nous ne voulons pas qu’on nous donne un avion très cher+”, a déclaré le président américain à la Maison Blanche.
“Je pense que c’est un beau geste venant du Qatar. Je suis très reconnaissant. Je ne suis pas du genre à refuser une telle offre. Je pourrais être une personne stupide et dire +Non, nous ne voulons pas qu’on nous donne un avion très cher+”, a déclaré le président américain.
La porte-parole de la Maison Blanche Karoline Leavitt a elle confirmé plus tôt lundi que la famille royale du Qatar allait offrir un Boeing 747-8 Jumbo. “Les détails juridiques de cette offre sont encore en train d’être étudiés”, a-t-elle déclaré à la chaîne Fox News. La porte-parole a également assuré que ce pays de Golfe ne cherchait pas de traitement de faveur en retour, car “ils connaissent le Président Trump et savent qu’il ne travaille qu’avec les intérêts des Américains en tête”.
Selon la chaîne ABC, qui cite des sources proches du dossier, l’annonce de ce cadeau XXL doit être faite lors de la visite de M. Trump au Moyen-Orient, avec une escale au Qatar, de mardi à vendredi.
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