Trump à la rescousse au Canada?
Justin Trudeau brigue un quatrième mandat en tant que Premier ministre du Canada. Il pourrait trouver un allié improbable en la personne de Donald Trump.
La dernière fois qu’un premier ministre canadien a remporté un quatrième mandat consécutif, c’était en 1908, quand le pays comptait une population inférieure à celle de l’actuelle ville de Toronto. Justin Trudeau, qui dirige le Canada depuis 2015 et en est à son troisième mandat, est convaincu de pouvoir remporter une nouvelle victoire. S’il y parvient, il aura surpassé son père, Pierre Trudeau, qui avait perdu de justesse une quatrième campagne en 1979.
Justin Trudeau n’est pas obligé de déclencher des élections avant 2025, grâce à un pacte que son gouvernement libéral minoritaire a conclu avec un petit parti de gauche. Malgré cela, le Premier ministre pourrait bien être tenté d’aller à la rencontre des électeurs dès la fin de l’année 2024, et ce pour deux raisons.
Bouc émissaire
La première concerne l’économie. Depuis 2022, la banque centrale du Canada a augmenté dix fois son taux directeur pour tenter de juguler l’inflation. Cela a freiné l’activité des entreprises et fait grimper les taux d’intérêt pour les nouveaux emprunteurs. Résultat: l’économie s‘est contractée de manière inattendue au deuxième trimestre 2023. Les Canadiens auront toutefois surtout souffert avant même que la campagne ne débute. La banque centrale estime en effet que d’ici la seconde moitié de 2024, la croissance sera de retour, et l’inflation inférieure à 3 % (contre 8 % à la mi-2022). Et comme les électeurs ont traditionnellement la mémoire courte…
La deuxième raison est plus cynique et concerne l’Amérique. Justin Trudeau présente le Canada comme un rempart contre le populisme, et Donald Trump fut un bouc émissaire utile. Un sondage réalisé en 2020 révélait que 14 % seulement des Canadiens voteraient pour M. Trump s’ils en avaient la possibilité. Si ce dernier devient le candidat républicain, il faut s‘attendre à ce que Justin Trudeau traite ses rivaux conservateurs de pure émanation du trumpisme.
Spectre du Nord
Anticipant peut-être cette stratégie, Pierre Poilievre, le chef des conservateurs, s’est gardé de s’engager sur des questions telles que l’immigration. En 2024, le Canada devrait accueillir sur son sol 485.000 résidents permanents, un nouveau record. Mais au lieu d’appeler à une réduction de cette immigration, le chef de l’opposition en vante les mérites. Il invite souvent sa femme, originaire du Venezuela, à se joindre à lui sur le terrain. Dans ses discours, il préfère se concentrer sur les questions de fond telles que le logement et la sécurité, restant discret sur les sujets les plus à même d’exciter sa base. Mais ce qui se passe au sud de la frontière se retrouve toujours dans les discours.
Pour un gouvernement qui paraît avoir vécu, cela ne peut pas faire de mal d’attirer l’attention sur d’autres sujets.
A l’approche de l’élection américaine de novembre, il faut s’attendre à ce que Justin Trudeau invoque le spectre du “populisme du Nord” comme un moyen de consolider le vote de centre gauche derrière son Parti libéral. Cela pourrait ne pas fonctionner. Mais pour un gouvernement qui paraît avoir son avenir derrière lui, cela ne peut pas faire de mal d’attirer l’attention sur d’autres sujets.
Par James Yan, ancien correspondant à Vancouver de “The Economist”.
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”
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