Soudan: voyage au bout de l’enfer
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La plus grande catastrophe humanitaire du monde continuera d’être ignorée, alors que la guerre civile qui ravage le pays devrait devenir encore plus brutale.
Aucune ville du Soudan, hormis la capitale Khartoum, n’est plus âprement disputée qu’El Fasher. Cette dernière est située dans la région occidentale du Darfour. Pendant la majeure partie de l’année 2024, elle a été assiégée par les Forces de soutien rapide (FSR). C’est un groupe paramilitaire qui a passé plus de 18 mois à essayer de vaincre les Forces armées soudanaises (SAF), l’armée régulière, et de prendre le contrôle de l’État. C’est donc à El Fasher qu’a commencé la famine qui menace aujourd’hui l’ensemble du pays.
Au moment de la publication de cet article, El Fasher restait le dernier bastion urbain des forces de sécurité au Darfour. Les observateurs s’attendaient depuis longtemps à ce que la chute de la ville soit suivie d’un nettoyage ethnique des groupes locaux d’Afrique noire par le FSR, majoritairement arabe. Des centaines de milliers de civils ont déjà fui, rejoignant les plus de 20 % de la population d’avant-guerre du pays (50 millions d’habitants) qui ont été forcés de fuir leur foyer depuis le début de la guerre en avril 2023. Mais malgré la supériorité en nombre et en armes du FSR, le SAF s’est accroché à El Fasher, et ailleurs aussi.
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Gerre civile au Soudan: plus brutale et plus complexe
La guerre civile au Soudan risque de devenir encore plus brutale, complexe et difficile à résoudre. Comme à El Fasher, où divers groupes armés locaux se sont battus aux côtés du SAF, les groupes d’autodéfense et les milices vont proliférer ailleurs. Il s’agit notamment de brigades djihadistes liées à l’armée. Mais il y a aussi des unités composées d’anciens membres des redoutés services de renseignement du Soudan. Les forces paramilitaires du FSR sont connues pour terroriser les civils depuis des jeeps blindées et des motos. Ces forces sont des adeptes de la guerre mobile. Mais elles sont largement détestées dans tout le Soudan. Même si elles conquièrent de nouveaux territoires, leur domination sera précaire.
Plus de 10 millions de personnes pourraient mourir de faim au Soudan.
Les pourparlers en vue d’un cessez-le-feu n’ont guère progressé et il est peu probable que cela change en 2025. Le SAF se considère comme le gouvernement légitime du Soudan. Il est réticent à dialoguer avec ce qu’il considère comme une milice improvisée. En 2024, l’armée a obtenu le soutien de la Russie et a reçu des armes de l’Iran, ce qui a renforcé la position de ceux qui, dans ses rangs, s’opposent à un cessez-le-feu. Pour sa part, les FSR n’ont guère de raisons de faire des concessions. Elles bénéficient du soutien des Émirats arabes unis (EAU), qui ont continué à lui fournir des armes, y compris des drones, malgré l’opprobre général.
Alors que le bilan humain est catastrophique et que l’instabilité devrait s’étendre au-delà de ses frontières, le Soudan ne reçoit qu’une fraction de l’attention internationale accordée aux conflits au Moyen-Orient et en Ukraine.
Les livraisons d’aide humanitaire et alimentaire destinées à atténuer ce qui, selon certains experts, sera la pire famine depuis le Grand Bond en avant chinois (1958-1961) sont totalement insuffisantes.
Au cours des deux prochaines années, ce sont plus de 10 millions de personnes qui pourraient périr… Sans que rien ne soit fait pour l’empêcher…
Par Tom Gardner, correspondant en Afrique de “The Economist”
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