Qui est Peter Navarro, l’architecte des droits de douane de Trump ?

Il serait l’homme qui aurait murmuré à l’oreille de Trump sa politique commerciale. Il est l’incarnation du protectionnisme américain qui balaye des décennies de libre-échange. Problème l’“expert” économique que l’homme cite régulièrement pour défendre ses analyses économiques tranchées n’existe tout simplement pas.
À 75 ans, Peter Navarro est le conseiller principal au commerce de la Maison Blanche. Selon de nombreux experts, il serait l’architecte du bazooka tarifaire de Trump et de ce fait l’un des principaux artisans de la guerre commerciale américaine.
Diplômé de Harvard, Peter Navarro n’est pas un inconnu dans le monde académique. Ancien professeur d’économie à l’Université de Californie, il s’est fait remarquer dans les années 2000 par ses thèses tranchées sur le commerce international, qu’il résume dans un ouvrage devenu culte chez les nationalistes économiques : Death by China (2011). Il y développe une vision profondément critique de la Chine, accusée de manipuler sa monnaie, de pratiquer un dumping massif et de provoquer la désindustrialisation américaine.
Lorsque Donald Trump cherche à durcir son discours économique durant la campagne de 2016, c’est Jared Kushner, son gendre, qui découvre le livre sur Amazon et contacte spontanément Navarro. Ainsi débute une collaboration pour le moins prolixe. Navarro devient le seul conseiller économique attitré du candidat, puis l’un des piliers de son premier mandat.
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Navarro voit dans le gigantesque déficit commercial américain de plus de 1 203 milliards de dollars le symbole d’une injustice fondamentale. À ses yeux, le fait que les États-Unis importent beaucoup plus qu’ils n’exportent a surtout enrichi le reste du monde. Et, toujours selon lui, la seule manière de corriger cette injustice est de rééquilibrer les échanges avec tous les partenaires commerciaux américains. Navarro plaidait déjà dès le premier mandat de Trump imposer des droits de douane élevés non seulement à la Chine, mais à tous les pays.
Un faucon isolationniste et anti-Chine, en marge de sa discipline
Navarro incarne depuis un courant économique ultraminoritaire. Selon Justin Wolfers, professeur à l’Université du Michigan, Navarro est “tellement en marge du consensus académique qu’il ne souscrit à presque aucun des principes fondamentaux de l’économie moderne”. Il rejette notamment la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo, considérée comme un pilier du libre-échange, et affirme que les États-Unis ne peuvent redevenir puissants qu’en imposant des droits de douane massifs à leurs partenaires commerciaux.
Même s’il prône une vision économique que l’on pourrait qualifier, a minima, de niche et qu’il est en disgrâce auprès de l’élite académique, son influence sur Donald Trump n’en reste pas moins intacte.
Fidèle parmi les fidèles
Il est vrai que Navarro n’a jamais renié son engagement envers Donald Trump. Fidèle parmi les fidèles, il ira même en prison pour lui. Il sera ainsi condamné début 2024 à quatre mois de prison- peine qu’il a purgé depuis- pour avoir refusé de coopérer avec la commission d’enquête sur l’assaut du Capitole. « Le comité du 6 janvier m’a demandé de trahir Donald Trump pour sauver ma peau. J’ai refusé », dira-t-il avec fierté lors de meetings électoraux pro-Trump.
Le “Make America Great Again” étant pour ce second mandat autant un slogan économique qu’un programme politique, il occupe à nouveau une position centrale. À ses côtés, d’autres figures – comme Howard Lutnick, Stephen Miran, Scott Bessent ou encore Jamieson Greer – forment un état-major convaincu que le protectionnisme est la clé du redressement économique américain. Malgré les signaux négatifs des marchés (euphémisme) et le risque d’inflation, Navarro reste persuadé que les hausses tarifaires pourraient rapporter jusqu’à 6 000 milliards de dollars à l’économie américaine sur dix ans.
Un boulet bientôt embarrassant ?
Mais ce ne sont pas les théories extrêmes et le chaos qu’elles ont provoqué qui ont ces derniers jours entamé la crédibilité de Navarro. Non, ce serait plutôt un scandale qui gagne en ampleur ces dernières heures et qui pourrait transformer le soutien fidèle en potentiel boulet.
Dans plusieurs de ses livres, Peter Navarro cite abondamment un soi-disant expert, Ron Vara, présenté comme un économiste de Harvard, vétéran et investisseur à succès. Problème : Ron Vara n’existe pas. Il s’agit d’un personnage fictif, dont le nom est l’anagramme de… Navarro. Un détail pour Navarro, qui a tenté de minimiser l’affaire en parlant d’un simple “dispositif fantaisiste”. Mais si cette révélation n’est pas neuve puisqu’elle date de 2019, elle est revenue sur le devant de la scène ce week-end et est depuis quelques jours devenue virale. Depuis que le 5 avril, la journaliste Rachel Maddow est revenu sur ce sujet sur la chaîne MSNBC. L’extrait, intitulé «L’histoire réelle et ridicule derrière le plan tarifaire qui a fait de Donald Trump une catastrophe mondiale» compte désormais plusieurs millions de vues, notamment sur YouTube et Threads.
La vieille révélation met, si besoin, encore un peu plus en lumière le peu d’assises scientifique derrière les assauts Trumpiens contre les droits de douane. Les chiffres fantaisistes lors de conférences de presse n’en étant que le dernier exemple fracassant en date.
La forte réaction des marchés face à l’escalade de la guerre commerciale a d’ailleurs fait monter les tensions dans le camp Trump d’un sérieux cran. Musk s’en est pris violemment à Navarro ce week-end, sans trop de conséquences.
Il n’empêche que celui que Trump appelle affectueusement « mon Peter » pourrait bien rapidement se trouver dans une position nettement moins confortable. Car si les signes qu’un avenir riant attend les Etats-Unis au sortir de cette guerre commerciale se font trop attendre, le précieux conseiller pourrait bien se transformer en réel boulet. Car même pour une Maison Blanche critiquée pour sa relation ambivalente aux faits, invoquer un expert imaginaire pour justifier des décisions économiques aux conséquences mondiales pourrait bien être le pas de trop.
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