Quand la Russie de Poutine “privatise à son profit la victoire de 1945”


Les commémorations de la “grande victoire” contre le nazisme illustrent la façon dont la propagande a détourné la réalité historique. L’armée rouge a certes pays le prix fort de la victoire contre le nazisme, mais cela ne peut pas tout justifier. A commencer par l’exclusion mémorielle de la contribution des alliés en 1945, en terminant par la justification de la guerre en Ukraine depuis 2014.
Ce sont forcément des images spectaculaires. Le président russe, Vladimir Poutine, a accueilli ses homologues chinois, Xi Jinping, et brésilien, Lula, ce vendredi 9 mai sur la place Rouge à Moscou pour le grand défilé militaire de la grande journée patriotique de la victoire.
Une façon de confirmer l’axe Moscou – Pékin et de défier l’occident dans un contexte géopolitique tendu. Un pied de nez, aussi, à l’encontre des efforts du président américain, Donald Trump, pour trouver un accord de paix en Ukraine.
Un exemple vertigineux de propagande.
Le symbole de la propagande
La commémoration de la fin de la Seconde guerre mondiale, célébrée le 8 mai dans nos pays et le 9 mai en Russie, est devenue le symbole même d’une propagande détournant l’histoire pour servir l’appétit impéraliste et revanchard de Vladimir Poutine. Les dirigeants occidentaux n’étaient pas invités et pas désireux de se rendre à Moscou. Mais la mémoire même de la contribution des alliés à la victoire contre le nazisme est balayée. L’Ukraine et l’Europe sont désormais présentés comme des “nazis” auxquels il faut résister en une étrange exploitation de l’histoire.
Vkadimir Poutine a une nouvelle fois dressé, ce 9 mai, des parallèles historiques entre la Seconde guerre mondiale et l’assaut de grande ampleur contre l’Ukraine qu’il a ordonné en février 2022. “L’ensemble du pays, la société, le peuple soutiennent les participants à l’opération militaire spéciale” en Ukraine, a-t-il déclaré, utilisant l’euphémisme en vigueur pour désigner le conflit. “Nous sommes fiers de leur courage et de leur détermination, de leur force d’âme qui nous a toujours apporté la victoire”, a-t-il ajouté, tout en assurant que la Russie “a été et sera une barrière indestructible contre le nazisme, la russophobie, l’antisémitisme“.
La veille, en recevant son homologue chinois Xi Jinping, il avait asséné: “Avec nos amis chinois, nous défendons fermement la vérité historique, protégeons la mémoire des événements des années de guerre et luttons contre les manifestations modernes de néonazisme et de militarisme”.
Le président russe, Vladimir Poutine, “peut se considérer comme le soi-disant vainqueur, mais il n’a pas le droit de monopoliser” la mémoire de la victoire de la seconde guerre mondiale, a affirmé en retour vendredi le chef de la diplomatie ukrainienne, Andrii Sibyha.
Ecole et “régiment immortel”
“Les célébrations de la Grande Guerre patriotique sont devenues un instrument de propagande militariste, une fête d’agression contre tout le monde sur le thème ‘on peut le refaire’, souligne l’opposant russe Sergueï Parkhomenko, au Monde. Selon lui, Vladimir Poutine a “privatisé à son profit la victoire de 1945”.
“Depuis 2015, le Kremlin en a fait une manifestation qui n’a plus rien d’authentique, pour laquelle des entreprises se battent afin de produire des pancartes à la chaîne avec photos d’inconnus qui sont tout simplement distribuées, comme les rubans de Saint-Georges, appuie-t-il. Le sens premier de cette initiative a été détourné pour en faire une démonstration d’agressivité. Les régimes autoritaires et les dictatures ont toujours besoin d’ennemis, de faire croire que leur pays est menacé.”
Le “régiment immortel” est devenu un élément majeur de ce jour, constitué de ces victimes patrotiques tombées dans la lutte de l’armée rouge et célébrés, désormais, dans tout le pays. Mais si la Russie a effectivement perdu près de 27 millions de soldats pour faire tomber le nazisme, elle oublie purement et simplement la contribution des alliés, Etats-Unis en tête. Dans les écoles, le récit de cette victoire et “l’opération militaire spéciale” contre l’Ukraine font désormais partie du même récit. Idem dans les musées d’histoire revisités.
“Le 9 mai est l‘élément central d’une mémoire collective totalement instrumentalisée par le pouvoir“, souligne Carole Grimaud, spécialiste de la géopolitique russe et experte à l’Observatoire géostratégique de Genève, citée par France Info. Sarah Gruszka, historienne spécialiste de l’URSS à l’époque stalinienne et de la Seconde Guerre mondiale, parle de son côté d’une “manipulation politique de l’histoire visant à légitimer une guerre d’agression”.
La propagande affecte en profondeur la société russe et risque de nourrir d’autres guerres à venir.
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