Le ministre de la Défense Theo Francken fait partie de la mission économique qui séjourne actuellement en Californie. Et parmi ses nombreuses visites, il y en a une qui l’a particulièrement marquée : celle chez Palantir.
« Visite fascinante à @PalantirTech, a posté Theo Francken sur X. L’intégration des données est essentielle à la défense moderne : l’innovation évolue rapidement et nous devons suivre le rythme. Les récentes menaces de drones au-dessus de la Belgique nous rappellent l’importance cruciale de la maîtrise de l’information. Travaillons ensemble ! »
Ce post a suscité des réactions diverses. De Standaard relate par exemple celle de Staf Aerts (Groen), président de la commission des achats militaires. « Que Theo Francken adule Trump, ce n’est pas nouveau. Mais qu’il entraîne la politique de défense belge dans cette admiration et veuille collaborer avec les amis technologiques de Trump chez Palantir, une entreprise sans scrupules qui fait de la persécution et du meurtre un modèle économique, est inacceptable », souligne Staf Aerts.
Une odeur de soufre
Palantir est une entreprise américaine fondée en 2004 par Peter Thiel, Alex Karp et Nathan Gietting, n’est pas une entreprise comme les autres. Elle a des liens historiques étroits avec la CIA et d’autres agences de renseignement américaines et elle est spécialisée dans l’analyse de données massives (Big Data) et l’intelligence artificielle. Elle fournit des logiciels à des gouvernements pour des usages en sécurité, santé publique, immigration et défense.
Un de ses logiciels les plus connus est Gotham : il collecte des données massives courriels, fichiers texte, images, … et il peut à partir de ces données dresser une liste de personnes susceptibles de commettre dans le futur un acte terroriste ou un crime. Un outil qui fait penser au film de Steven Spielberg « Minority Report ». Si ce n’est que ce n’est plus de la dystopie. La police de Los Angeles l’a utilisé pour dresser une liste de suspects et les arrêter pour des délits mineurs (par exemple traverser en dehors des passages pour piétons) et mener un interrogatoire serré de ces personnes. Le Danemark l’utilise aussi pour dresser une cartographie des zones à criminalité élevée.
Trump et Palantir
En raison des liens étroits entre Peter Thiel et Donald Trump – Thiel a été le premier milliardaire de la tech à endosser, dès 2016, la candidature de Donald Trump – , Palantir a obtenu pas mal de contrats avec l’administration américaine, ce qui a propulsé le cours de son action, qui affiche une hausse de 1.600% sur 5 ans. L’entreprise met ainsi à disposition du ICE, le service américain de l’immigration qui se distingue actuellement par ses interventions musclées, une application d’intelligence artificielle qui permet de traquer les citoyens étrangers sur le territoire des États-Unis.
Ces derniers jours, à la suite d’un rapport de l’armée américaine faisant état de grave lacune de sécurité dans son système de communication pour les applications militaires, Palantir a été quelque peu ébranlé. Mais la société a démenti la gravité de ces lacunes, et la tempête semble s’être déjà calmée.
Dans De Standaard, Theo Francken se défend : « Bien sûr, nous devons sécuriser nos centres de données et notre cloud. Mais nous devons acheter le meilleur. Actuellement, nous sommes à la traîne, il faut passer à la vitesse supérieure », dit-il. « 90 % de nos achats sont européens, mais pour certaines choses, il n’existe tout simplement pas d’alternative européenne. Le système Maven de Palantir a intercepté 199 des 200 missiles lancés par l’Iran sur Israël en juin. Je sais qu’il y a des questions morales autour de cette entreprise, mais nos militaires doivent avoir les meilleurs systèmes, surtout en matière d’IA. »
Comme le F-35 ?
Theo Francken a raison : personne ne concurrence Palantir aujourd’hui dans ce type d’applications. A leur corps défendant, le Royaume-Uni, la France, le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Grèce … ont passé des contrats avec la société américaine, malgré les risques que cela comporte. Risque de transfert de données, d’espionnage industriel, de dépendance. On l’a vu avec l’Ukraine, si jamais la Maison Blanche retire son agrément, un pays qui a acheté une technologie américaine peut se retrouver désarmé. Et plus largement l’utilisation de ce type d’outils pourrait éroder la souveraineté d’un pays en matière de droits fondamentaux, en exposant par exemple ses citoyens à des profils prédictifs déterminés par Palantir, comme ce que fait la police de Los Angeles, mais aussi semble-t-il la police danoise.
Ce que l’on craint aujourd’hui avec Palantir est de même nature que les objections faites à l’acquisition des F-35 : malgré les propos rassurants, on sait que les alliés qui ont acheté ce matériel américain ne contrôlent pas pleinement les mises à jour, les pièces de rechange ni les logiciels critiques. Des experts comme ceux de l’Ifri en France ou du RUSI au Royaume-Uni jugent que cela transforme l’avion en un atout stratégique pour Washington, potentiellement utilisable comme levier diplomatique.
Mais là aussi, Theo Francken avait balayé les objections.