Pourquoi l’Arabie saoudite ferme soudainement le robinet pour les investissements à l’étranger
Le fonds souverain d’investissement saoudien PIF investit beaucoup moins à l’étranger. Son portefeuille d’actions américaines a également diminué de près de 15 milliards de dollars en six mois, selon les chiffres du gendarme boursier américain (US Securities and Exchange Commission). Avec une production et des ventes de pétrole réduites, les Saoudiens se concentrent sur les mégaprojets nationaux et les nouvelles infrastructures.
Le Fonds d’investissement public (PIF) de l’Arabie saoudite est devenu l’un des principaux fonds d’investissement au monde au cours de la dernière décennie. Le fonds est passé de 150 milliards de dollars en 2015 à 925 milliards de dollars aujourd’hui. Les investissements dans des entreprises et des projets internationaux sont destinés à aider l’Arabie saoudite à devenir plus importante sur la scène internationale. Depuis des années, l’Arabie saoudite dépense donc beaucoup d’argent là où cela se remarque le plus. Le pays espère ainsi mettre fin à son image négative, étroitement liée à l’industrie pétrolière et au pouvoir du cartel pétrolier de l’OPEP. Le football et les jeux vidéo sont les favoris personnels du prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS), qui dirige le PIF.
Mais plusieurs banquiers avec lesquels le Financial Times s’est entretenu notent que la stratégie des Saoudiens s’est inversée depuis le début de l’année. Les investissements dans les entreprises et les projets étrangers sont réduits ou annulés. Cela est également visible dans le portefeuille d’actions du PIF. À la fin de l’année dernière, le fonds gérait 35 milliards de dollars en actions américaines, mais ce montant a été ramené à 20,5 milliards de dollars en juin. Cette année, le PIF a déjà vendu des participations dans la société de croisières Carnival Group, la société de divertissement Live Nation et le gestionnaire d’actifs BlackRock.
Faible retour sur investissement
“Ces dernières années ont montré que nombre de leurs investissements n’ont pas rapporté grand-chose”, explique Victor De Decker, géo-économiste à l’Institut Egmont. “Un exemple clair est la Saudi Pro League, qui a suscité peu d’intérêt malgré la présence de grandes stars du football. Cette année, la ligue adopte une approche à plus petite échelle. Le pays a compris qu’il était perçu internationalement comme une sorte d’âne qui laisse tomber des pièces d’or. Comme un idiot utile. Cette image attire automatiquement encore plus de mauvais investissements avec un faible retour sur investissement, et l’Arabie saoudite veut absolument éviter cela.”
En outre, la situation du marché pétrolier joue également un rôle. “Les poches d’argent de l’Arabie saoudite, pour être clair, sont toujours incommensurablement grandes, mais leurs revenus provenant des ventes de pétrole ont été structurellement réduits par les réductions de production persistantes imposées par l’OPEP. En outre, depuis cette année, les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole. Les États-Unis peuvent désormais peser davantage sur les marchés, ce qui oblige les Saoudiens à être plus prudents”, continue l’expert.
Pour De Decker, la situation géopolitique tendue au Moyen-Orient ne peut pas justifier cette nouvelle stratégie d’investissement. Car la situation jouerait en fait en faveur des pays producteurs de pétrole : “Cette situation a en fait peu d’impact sur l’Arabie saoudite, puisqu’elle ne l’empêche pas de pomper le pétrole du sol. Au contraire, l’incertitude peut faire monter les prix. Pour l’instant, il n’y a donc pas de risques pour l’économie saoudienne, ni pour la sécurité du pays. L’ayatollah de l’Iran, son principal rival, profère de temps à autre des menaces, principalement à l’encontre d’Israël, mais cela n’a pas eu de conséquences réelles jusqu’à présent.”
Ne pas perdre la face
Pour De Decker, la nouvelle stratégie de l’État pétrolier consiste à redistribuer les ressources plutôt qu’à les économiser. L’Arabie saoudite ouvre toujours son portefeuille pour des investissements intérieurs. Selon les objectifs fixés par le PIF, le royaume veut dépenser 40 milliards de dollars par an dans des projets qui stimuleront de nouvelles industries dans le pays. Des projets qui apportent une valeur ajoutée directe à l’État pétrolier. À cette fin, le pays mise sur le tourisme, les sports, les jeux, l’exploitation minière, la technologie et la fabrication, entre autres.
Mais ces investissements nationaux s’accompagnent également de dépenses élevées pour de nouvelles infrastructures. Le pays ne peut s’y soustraire, car il y a beaucoup de choses à l’ordre du jour en termes de sports et d’événements dans les années à venir. Riyad accueillera le championnat asiatique de football de 2027, les Jeux asiatiques d’hiver de 2029 et l’Exposition universelle en 2030. Pour l’instant, c’est aussi le seul candidat à l’organisation de la Coupe du monde de la FIFA en 2034. Ben Salmane souhaite également faire de son pays le centre du jeu et de l’e-sport. Riyad a accueilli la première Coupe du monde d’e-sports cette année et l’Arabie saoudite souhaite même consacrer un quartier entier de la capitale aux sports électroniques, avec une arène de 73.000 places.
Selon De Decker, l’Arabie saoudite a mis la charrue avant les bœufs. “Il s’agit de projets qui nécessiteront beaucoup de capitaux dans les années à venir, mais dont l’Arabie saoudite aura du mal à se soustraire. Il faut aussi voir cela dans le contexte de la forte rivalité avec le Qatar et les Émirats arabes unis. Les projets doivent être menés à bien, c’est une question de prestige. Mais en même temps, des forces internes sont à l’œuvre, qui font que les ressources sont désormais redistribuées. Il reste à voir combien de temps durera cette nouvelle tendance. Il est possible qu’elle affecte les entreprises à la recherche de capitaux.”
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