Pourquoi la Fed énerve déjà Donald Trump
La banque centrale américaine abaissera ses taux moins que prévu. Cela ne fait pas les affaires du nouveau président américain alors qu’il n’est même pas encore entré en fonction. Explications.
La Réserve fédérale américaine a réduit comme prévu ses taux de 25 points de base ce mercredi. Le taux directeur américain se situe désormais dans une fourchette de 4,25-4,50%. Mais la surprise est venue du commentaire qui a accompagné cette décision : désormais, la banque centrale américaine laisse entendre qu’elle ne devrait procéder à des nouvelles réductions (chaque fois de 0,25%) que deux fois en 2025, alors que le marché tablait sur quatre baisses.
Une question d’emplois
Pourquoi ? Parce que l’inflation est plus élevée que prévu : l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire l’évolution des prix en dehors des prix de l’énergie et de l’alimentation, sera finalement de 2,8% cette année (les prévisions précédentes tablaient sur 2,6%), et 2,5% l’an prochain (contre 2,2% précédemment). L’objectif de ramener l’évolution des prix à la consommation à 2% ne serait atteint qu’en 2027. Parallèlement, la croissance américaine en termes réels, corrigée de l’inflation, se porte bien. Elle atteint 2,5% cette année et devrait afficher 2,1% l’an prochain. Des chiffres revus à la hausse. En gros donc, l’économie se porte bien, mais les prix ont tendance à surchauffer. Conclusion : il n’y a pas vraiment de raison de baisser les taux.
Si l’on veut entrer dans le détail, le problème vient surtout du marché de l’emploi américain, qui reste très tendu. Et qui dit marché tendu dit hausse salariale plus importante que prévu.
« Si l’on prend en compte les mesures déjà prises par Joe Biden pour limiter l’immigration, la population en âge de travailler augmente aux Etats-Unis à peu près de 0,8 % en rythme annuel, expliquait voici quelques jours Anton Brender, économiste de Candriam. Et l’on suppose que le taux de participation, qui est déjà très élevé, ne change pas. Compte tenu de tout cela, la population active augmente de 110 000 par mois ». Une création de 110.000 emplois par mois est donc ce qui permet à l’économie américaine de croître sans que le taux de chômage, qui est déjà au minimum, ne bouge. « Si la croissance est beaucoup plus forte, nous aurons une tension sur le marché du travail et le risque de voir la Fed s’en inquiéter », avertit Anton Brender.
Il faut que la croissance baisse
Mais le problème est qu’aujourd’hui déjà, sans même les mesures drastiques anti-immigration annoncées par Donald Trump, les Etats-Unis créent trop d’emplois par rapport à la main d’œuvre disponible. « Ces trois derniers mois, en moyenne, l’économie américaine a créé 173.000 emplois, poursuit Anton Brender. Ce qui est bien sûr très au-dessus des 110.000 qui sont soutenables ». Pour éviter tout dérapage, la Réserve fédérale resserre les boulons, et limite ses baisses de taux, pour s’assurer que l’économie n’affiche pas une croissance de plus de 2,3%. « Si vous regardez à quelle vitesse va l’économie américaine, nous sommes aujourd’hui aux alentours de 3%, une croissance tirée par le dynamisme de la demande intérieure, et particulièrement de la demande privée, ajoute Anton Brender. Si la vitesse soutenable est 2,3%, et que nous sommes actuellement à 3%, il faut absolument qu’à l’horizon de l’année prochaine, cette économie décélère un peu ».
Anti-Trump ?
Ce froncement de sourcils de la Fed ne fait pas, mais vraiment pas, le bonheur du nouveau président américain Donald Trump. D’abord parce qu’il est en totale contradiction avec la politique migratoire annoncée, qui veut réduire encore le nombre de migrants. Une politique qui aura pour effet de réduire le nombre de travailleurs, d’accentuer la tension sur le marché du travail et de rendre la Réserve fédérale plus sévère encore.
Une décélération de l’économie, causée par des taux plus élevés que prévu, n’est pas non plus une bonne chose électoralement. Les Américains le ressentiront. Le maintien de taux plus élevés qu’attendu n’est pas non plus une bonne chose pour la Bourse américaine, qui réagit fortement depuis ce mercredi. C’est normal : les taux servent à calculer la valorisation des actions et une hausse des taux se traduit mécaniquement par la baisse de la valeur actuarielle des actions, surtout celles qui affichent des taux de croissance future élevés, comme les actions du secteur technologique.
Des taux plus élevés signifient aussi un dollar plus fort, et donc davantage de difficultés pour les entreprises exportatrices américaines. Tout le contraire de la politique commerciale de Donald Trump.
Baisse de la consommation, baisse des exportations et baisse de la bourse : ces trois éléments devraient donc énerver fortement le nouveau président américain. Or il est impuissant : le mandat du président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell, court jusqu’en mai 2026. Pas question d’ici là de le remplacer par un nouveau banquier central plus accommodant.
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