Pourquoi ce “bank run” en Russie ?

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Les dernières sanctions américaines ont eu raison du marché des changes russes, et ont provoqué une panique bancaire.

Mais pourquoi depuis mercredi de nombreux Russes font-ils la queue devant leur banque pour retirer de l’argent ? Y aurait-il un vent de panique ?

On n’en est pas très loin. Mercredi, juste avant la réunion du G7,  les Etats-Unis ont lancé une nouvelle salve de sanctions contre la Russie, et le coup a fait mal aux épargnants russes.

La Bourse ciblée

Ces mesures touchent en effet plusieurs centaines d’entreprises, d’organisations ou d’individus. Et parmi les organisations visées, il y a la Bourse de Moscou.

L’objectif est de couper « les voies d’approvisionnement restantes par lesquelles [la Russie] se procure des matériaux et des équipements à l’international », explique la secrétaire au Trésor, Janet Yellen. « Nous augmentons le risque pour les institutions financières qui traitent avec l’économie de guerre russe, éliminons les possibilités d’évasion et diminuons la capacité de la Russie à bénéficier de l’accès aux technologies, équipements, logiciels et services informatiques étrangers », explique-t-elle.

Et pour les banques chinoises ou turques dans des pays allant de la Chine à la Turquie qui continuent à effectuer des transactions avec la Russie, les mesures augmentent le risque que ce que l’on appelle des sanctions secondaires les coupent du système financier américain, comme la perte d’accès aux dollars américains.

Un marché des changes éclaté

Une des conséquences de ces sanctions est que désormais, l’échange de rouble contre dollar ou contre euro est désormais suspendu  à la Bourse de Moscou. Les principaux courtiers en devises ont cessé les transactions sur ces deux devises occidentales.  Or, les Russes, craignant la dévaluation du rouble, sont habitués à avoir une partie de leur épargne en euros ou en dollars. Ces mesures ont pour effet de rendre le marché des changes plus risqués et plus opaques. Le particulier ne peut plus acheter d’euros ou de dollars dans sa banque (c’était déjà devenu compliqué depuis la guerre) et la nouvelle a provoqué un vent de panique chez les épargnants qui se sont donc précipités pour retirer leurs dépôts en devises occidentales, mais aussi en roubles. Ils ont essayé « on line », mais mercredi et jeudi, de nombreux sites bancaires étaient inatteignables. Certains le sont encore ce vendredi. Ils se sont donc rendus dans leurs agences.

En réaction, la banque centrale de Russie a déclaré que désormais, l’économie russe se liait au renminbi chinois. Le taux de change yuan/rouble déterminera désormais la trajectoire de toutes les autres paires de devises, y compris l’euro et le dollar, indique l’institution.

Une économie fragilisée

Dans un entretien avec l’agence Reuters, un haut responsable américain s’exprimant sous le couvert de l’anonymat, a indiqué que les efforts visant à restreindre la capacité de la Russie à soutenir la guerre en Ukraine ont eu un « impact significatif ». « Les exportations mondiales vers la Russie ont chuté de près de 90 milliards de dollars, et les exportations américaines vers la Russie ont pratiquement cessé », dit-il.

La situation de l’économie russe est en effet très loin d’être stabilisée, et si les chiffres de croissance ne sont pas mauvais – le FMI table sur une progression de l’activité de 3,2% cette année- ils cachent une inflation de 8%, des taux d’intérêt directeur de 16%, une flambée de salaires qui ont augmenté de 25% sur un an en raison d’un manque de main d’œuvre (puisqu’une partie des hommes est mobilisée).

Par ailleurs, le secteur de l’énergie est lui aussi sinistré. Les attaques ukrainiennes ont réussi à réduire la capacité de raffinage de 15% environ, et Gazprom, qui a vu disparaître sa clientèle européenne, sans que ce mouvement soit compensé par la demande chinoise, a vu ses ventes baisser de 30% l’an dernier et a affiché une perte de 6,5 milliards d’euros. La pire de son histoire.

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