Pourquoi Amazon a été éjecté du Parlement européen
Ce n’est arrivé que deux fois dans l’histoire de l’institution (la première était avec Monsanto). Depuis quelques jours, les 14 lobbyistes du géant de l’e-commerce ne disposent plus de leurs badges d’accréditation au Parlement européen.
« Trop c’est trop, Amazon ne respecte pas le Parlement. Il est inquiétant de constater que les lobbyistes d’Amazon sollicitent les députés tous les jours, mais refusent de rendre des comptes lors d’une audition. Pendant ce temps, l’entreprise bafoue toutes les règles relatives aux droits des travailleurs et à la protection de l’environnement. Le temps passé aux toilettes est consigné, et il est même interdit aux employés de s’asseoir pendant un certain temps. Le Parlement doit pouvoir exercer son rôle de contrôle, en particulier dans l’une des plus grandes entreprises d’Europe et du monde ». Voilà la réaction de la belge Sara Matthieu (Verts/ALE), coordinatrice de la commission de l’emploi et des affaires sociales (connue sous le sigle EMPL) du Parlement européen. Elle n’est pas la seule à être très mécontente du comportement du géant américain qui refuse les auditions publiques tout en pratiquant un lobbying intense dans les couloirs du parlement.
Quatorze badges désactivés
Excédé par le mépris du géant de l’e-commerce envers les parlementaires européens, le président de la Commission, Dragos Pîslaru (Renew) a envoyé au début du mois de février une lettre, contresignée par les verts, les sociaux-démocrates et les libéraux, à la Présidente du Parlement, Roberta Metsola (PPE), afin de bannir les 14 lobbyistes accrédités d’Amazon de l’enceinte de l’institution. Ce qui a finalement été décidé le 27 février. « Ces lobbyistes ne pourront plus pénétrer dans les bâtiments du Parlement que s’ils sont invités par un parlementaire. Et nous sommes en train de voir s’il n’est pas possible de leur retirer cette possibilité là également », précise Willem Jaques, porte-parole de Sara Matthieu.
Cette décision est quasiment unique dans l’histoire du parlement (seuls les représentants de Monsanto avaient subi le même bannissement ; ceux d’Exxon Mobil y avaient échappé de justesse) et elle intervient après des refus répétés des représentants d’Amazon de rencontrer les parlementaires.
Trois refus
Le dossier remonte à 2021. Au printemps, le Parlement européen demande à Amazon de participer à une audition le 27 mai 2021 qui porte sur les “attaques d’Amazon contre les droits et libertés fondamentaux des travailleurs : la liberté de réunion et d’association, et le droit à la négociation et à l’action collectives”. La commission EMPL invite même le patron d’Amazon Jeff Bezos à s’expliquer, mais il décline.
En 2023, une mission de la commission est organisée dans les installations d’Amazon en Allemagne et en Pologne. Cette mission, initialement prévue du 18 au 20 décembre 2023, est finalement annulée par l’entreprise américaine.
Le dernier refus date de cette année, lorsque la commission invite à nouveau les représentants d’Amazon à participer à un échange de vue sur les conditions de travail dans ses entrepôts organisé fin janvier. « Une fois de plus, des invitations ont été adressées aux représentants d’Amazon et aux représentants des travailleurs. Malgré un préavis suffisant et les moyens nécessaires pour une participation à distance, Amazon a refusé de participer, invoquant un préavis trop court. En particulier, trois intervenants représentant des syndicats actifs dans les entrepôts d’Amazon en Allemagne et en Pologne se sont connectés à distance, apportant des témoignages poignants sur les conditions difficiles auxquelles sont confrontés les travailleurs d’Amazon », observe Dragos Pîslaru.
Amazon regrette
En réaction à son bannissement, le groupe américain a publié un communiqué dans lequel il dut que « Amazon a une longue histoire de collaboration avec le Parlement européen et nous sommes fiers des contributions que nous apportons à travers le continent. Nous sommes déçus, malgré nos tentatives répétées de dialogue constructif avec les membres de la commission de l’emploi et des affaires sociales, que la décision ait été prise de retirer aux employés d’Amazon leurs badges d’accès au Parlement européen. Nous prenons toujours au sérieux nos responsabilités envers le Parlement et les autres institutions, et nous convenons qu’une entreprise comme la nôtre – qui emploie plus de 150 000 personnes rien que dans l’UE – devrait être examinée de près. »
Intolérable bras d’honneur
Sur le fond, les parlementaires voulaient entendre le groupe sur plusieurs points très dérangeants, et notamment sur les mauvaises conditions de travail et de salaire, sur le non-respect du droit de grève, sur le monopole abusif qu’exerce l’Amazon Market place, qui a d’ailleurs donné lieu à des poursuites et des amendes, sur l’empreinte carbone de l’entreprise, son empreinte environnementale et, last but not least, sur ses pratiques en matière de collecte et de traitement des données, à l’égard de ses clients mais aussi de ses travailleurs. Le même pour de janvier de cette année où le parlement attendait les représentants de la firme, qui ne sont pas venus, Amazon était d’ailleurs condamné à une amende de 32 millions d’euros pour la surveillance “trop intrusive” des travailleurs, dont l’activité et les pauses étaient minutées.
Le mot de la fin reviendra à un vieux loup de mer du lobbying Daniel Guéguen, associate partner auprès d’Eppa, et professeur au Collège de l’Europe : « C’est mon avis personnel, mais je pense que quand vous êtes invité ou convoqué par le parlement, vous y allez. Vous êtes responsable de ce que vous dites ou de ce que vous ne dites pas. Mais c’est intolérable de faire un bras d’honneur au parlement. Si vous êtes lobbyiste, vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais vous devez respecter les institutions ».
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici