Pour l’ancien chef du MI6, une paix juste et durable en Ukraine est loin d’être certaine

© (Photo by Roberto Serra - Iguana Press/Getty Images)
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

C’est un des Européens les mieux au fait des enjeux internationaux. Sur la BBC, Sir Alex Younger, l’ancien chef du MI6 (le service de renseignement britannique) a clairement expliqué ces dernières heures les défis que comportent les négociations de paix en Ukraine.

Sir Alex Younger le dit clairement, il n’est pas certain du tout que cela débouche sur une paix « juste et durable ». L’ancien chef du MI6 estime cependant que nous ne devrions pas paniquer en Europe, nous qui avons une puissance économique dix fois supérieure à celle de la Russie. Mais il faut la faire jouer, et si nous voulons avoir une voix dans le concert international, il faut faire jouer notre « hard power », maintenant.

Nouvelle ère

« Nous entrons dans une nouvelle ère où, dans l’ensemble, les relations internationales ne seront plus déterminées par des règles et des institutions multilatérales. Elles seront déterminées par des hommes forts et des accords. Je pense au traité de Yalta à la fin de 1945, où trois hommes forts, représentant à l’époque les grandes puissances, les pays forts, ont décidé du sort des petits pays, rappelle Alex Younger. Je pense que c’est la mentalité de Donald Trump. Assurément celle de Poutine. C’est aussi celle de Xi Jinping. Ce n’est pas celle de l’Europe »

Il ajoute : « le monde d’avant reposait sur le moment unipolaire, où l’Amérique avait à la fois les moyens et la volonté de s’imposer à travers le monde. Cela a créé ce que nous appelons la mondialisation, la structure de sécurité internationale. Aujourd’hui, elle est un acteur relativement bien plus petit par rapport aux autres qu’elle ne l’était. Et bien sûr, sa volonté d’être cet acteur a diminué. Elle reste un pays prodigieux. Sous-estimer l’Amérique est dangereux. Mais sa capacité à imposer des règles à travers le monde, cela n’existe plus maintenant. Nous assistons à des accords. Nous voyons des discussions sur des sphères d’influence. Et je pense que les seuls qui n’ont pas encore pris conscience de cette réalité, c’est nous, l’Europe. Il y a un ticket d’entrée dans cette conversation (entre nations). Il semble, malheureusement, que ce ne soit pas notre soft power ou nos valeurs. C’est le hard power. Et cela pose un défi catégorique pour nous en Europe. »

Logiques divergentes

Sur les négociations de paix en Ukraine, Alex Younger estime que Donald Trump est sur une autre logique que la Russie, et que cette divergence  est très dangereuse. «  Je ne sais pas si Donald Trump adhère réellement à la ligne russe, mais je pense que les Russes croient probablement qu’il le fait. Et cela diminue considérablement son levier.  Le problème, c’est que Trump et Poutine parlent de choses différentes. Trump pense que c’est une question de territoire, typiquement comme un magnat de l’immobilier. Il s’agit de donner des terres à la Russie en échange de la paix ».

Mais ce n’est pas une question de territoire, souligne l’ancien patron du MI6. « Poutine a dit que c’était une question de souveraineté. Poutine a été très clair lorsqu’il a commencé cette guerre : l’existence de l’Ukraine en tant que pays souverain et libre était une atteinte inacceptable à la sécurité russe. Il ne s’arrêtera pas tant que l’Ukraine ne sera plus un pays. Et d’ailleurs, il y a plus : il y a l’Europe, l’OTAN, qui impose des contraintes sur sa présence en Europe de l’Est. Je ne pense pas que ce soient des choses auxquelles Donald Trump a clairement réfléchi, mais on y est immédiatement plongé. La Russie a déclaré aujourd’hui qu’elle n’accepterait pas de troupes occidentales en Ukraine. Ils sont déterminés à faire de l’Ukraine un pays désarmé et sans défense. »

Force européenne

La situation est donc très difficile, mais cela ne justifie en aucun cas une réaction panique en Europe. « Je pense qu’en tant qu’Européen, c’est un énorme signal d’alarme. Je ne sais pas comment cela va finir. Mais je sais une chose : l’Europe portera davantage de responsabilité à la fin qu’au début. Je ne veux pas exagérer. L’armée russe s’est comportée de manière risible. Elle ne va pas marcher sur Varsovie demain. Toutefois, nous ne devrions pas non plus occulter le fait qu’elle est enhardie par la situation actuelle. Avec le temps, les Russes renforceront leurs capacités. La raison pour laquelle nous n’avons pas besoin d’être trop inquiets, c’est que nous, les pays européens de l’OTAN, nous sommes dix fois plus riches que la Russie. Nous avons absolument la capacité de constituer les forces militaires nécessaires pour y résister. Mais si nous ne le faisons pas, alors oui, ce sera un cauchemar.

Nous devons nous organiser, agir, démontrer que nous sommes prêts à jouer un rôle, prendre le contrôle de notre propre environnement, reconnaître que nous devons développer notre puissance, et cela doit se faire rapidement. Donald Trump n’a pas tort sur tout. Nous avons profité gratuitement (de la sécurité américaine). Cela doit être réglé. Et l’autre chose, c’est qu’il faut expliquer à Donald Trump pourquoi abandonner l’Ukraine en tant que pays, abandonner sa souveraineté, serait une erreur désastreuse. Pensez à l’exemple que cela donnerait à Xi Jinping, qui observe Taïwan. »

Tout est possible

Et quand la journaliste lui demande s’il a confiance en un règlement juste et durable du conflit, pour reprendre les mots de du Secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, il répond : «  Non. Je pense que tout est possible. Cela peut l’être, je pense que Trump a un levier considérable, l’économie russe est gravement déséquilibrée et ne peut pas fonctionner ainsi plus d’un an encore. Poutine a perdu 800 000 morts ou blessés, ce qui, même pour un autocrate, doit avoir un effet.

Et surtout, je pense que c’est un moment psychologique énorme pour Poutine. Il attend depuis des années que Trump arrive au pouvoir. Et si Trump ne se révèle pas être l’opportunité que les Russes espèrent, il n’a pas de plan B. Donc, il y a pas mal de levier ici. Et je pense que si l’idée d’une Ukraine résiduelle libre peut être fermement ancrée dans l’esprit de Donald Trump comme son point de négociation, il peut y arriver. Et si cela se produit, cela ira mais Trump veut un accord à tout prix, se retirer et le laisser aux Européens, alors je pense que nous aurons un gros problème », conclut Alex Younger.

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