Pour la BCE, l’inflation est sous contrôle. Quant au reste…

© (Photo by Kirill KUDRYAVTSEV / AFP)
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

La Banque centrale (BCE) baisse ses taux, et abandonne toute référence à une politique monétaire restrictive, qui n’a plus dans sens dans un monde peuplé d’incertitudes.

La Banque centrale européenne a abaissé ses taux directeurs de 25 points de base ce jeudi. Cela signifie que le taux de la facilité de dépôt est désormais à 2,25%, le taux des opérations principales de refinancement à 2,40% et le taux de la facilité marginale à 2,65%.

“Le processus de désinflation est engagé”

Mais ce sont surtout les commentaires de la présidente Christine Lagarde qui retiennent l’attention. D’abord, dit-elle, cette baisse des taux, décidée à l’unanimité du conseil des gouverneurs, s’explique parce que, contrairement aux États-Unis, les prix sont sous contrôle.

« La décision de réduire le taux de la facilité de dépôt, qui guide notre orientation de politique monétaire, repose sur notre évaluation actualisée des perspectives d’inflation, des dynamiques de l’inflation sous-jacente et de la force de la transmission de la politique monétaire, explique Christine Lagarde. Le processus de désinflation est bien engagé. L’inflation a continué d’évoluer comme prévu par nos équipes, avec une baisse de l’inflation globale et de l’inflation de base en mars. L’inflation des services a également diminué de manière significative ces derniers mois. La plupart des indicateurs de l’inflation sous-jacente suggèrent que l’inflation se stabilisera durablement autour de notre cible de 2 % à moyen terme. »

“Qui dans cette salle pense que nous sommes dans un monde sans chocs?”

Ensuite, ce que certains observateurs ont pointé, c’est la disparition  dans le communiqué de la BCE d’une référence à une politique monétaire restrictive, c’est-à-dire un niveau de taux d’intérêt censé restreindre l’activité économique et donc plus élevé que le taux « neutre » qui est celui qui n’a ni un effet de frein ni d’accélérateur sur l’économie.

.« Nous avons effectivement supprimé du communiqué de politique monétaire une phrase qui faisait référence à la politique monétaire restrictive, et plus récemment à une politique restrictive significative ou non. Cette évaluation de la « restrictivité » avait du sens lorsque nous étions très loin de notre objectif, mais elle est désormais sans pertinence », souligne Christie Lagarde qui ajoute que « le taux neutre est un concept qui fonctionne dans un monde sans chocs. Qui, dans cette salle, pense que nous sommes dans un monde sans chocs ? »

“Un choc négatif sur la demande”

Sur l’impact de la guerre tarifaire enclenchée par les États-Unis, il y a encore bien trop d’incertitudes pour le quantifier aujourd’hui, ajoute Christine Lagarde. « Nous sommes en présence d’un choc négatif sur la demande, sans aucun doute. Certains tarifs sont déjà en place. D’un tarif moyen d’environ 3 % (de droits de douane sur les biens exportés par l’Europe), nous sommes passés à environ 13 %. Mais nous avons aussi la perspective d’un impact bien plus important ».

Elle poursuit : «  Il y a une série de réponses potentielles de la part de la Commission. Nous en connaissons une ou deux, selon la tactique adoptée. La plus évidente, qui a été commentée et mise sur la table, est l’offre de tarif zéro pour zéro (l’abolition des droits de douane pour les biens entre les États-Unis et l’Europe, NDLR). C’est le premier point. Deuxièmement, il y aura probablement, et cela relève de notre évaluation des risques, un réacheminement vers l’Europe de biens fournis par des marchés soumis à des tarifs beaucoup plus élevés. Troisièmement, il y a d’autres politiques en jeu et en discussion, notamment en Allemagne, comme des politiques fiscales qui verraient des investissements significatifs, une forte impulsion budgétaire. Vous avez donc une combinaison de politiques, de menaces de politiques de différentes catégories qui auront évidemment un impact sur la situation ».

Christine Lagarde mentionne encore d’autres éléments qui compliquent l’équation : «  À cela s’ajoute l’appréciation de l’euro, dit-elle, et une baisse significative des prix des matières premières, en particulier de l’énergie. Il faut combiner tout cela et anticiper les développements, ce qui me conduit à ne pas vous donner une quantification spécifique de l’impact. Disons simplement qu’il y aura un impact négatif sur la croissance. L’impact net sur l’inflation est moins clair à ce stade. Il y a tellement de choses en cours que certaines se clarifieront probablement d’ici notre réunion de juin. »

“Nous n’avons pas discuté de stimulation”

Mais si la croissance européenne devait être touchée, la BCE n’en est pas encore à envisager de mettre en œuvre une politique de soutien : « nous n’avons pas discuté de la question de la stimulation, précise Christine Lagarde. Nous prendrons l’orientation et les décisions de politique monétaire appropriées pour nous assurer de respecter notre engagement à atteindre la cible de 2 % à moyen terme de manière durable ».  

Pour savoir quelle politique sera la plus appropriée, la BCE se basera plus que jamais sur l’analyse des statistiques. Et elle se reposera sur deux principes, ajoute Christine Lagarde : » la disponibilité et l’agilité face à l’incertitude ».

Une des questions sensibles sera notamment de voir dans quelle mesure le vaste plan de soutien allemand à la défense et aux infrastructures aura un impact sur l’économie européenne. « Quand vous injectez 800 milliards dans l’économie, ou près d’un trillion d’euros, ce n’est pas une petite chose. C’est un sérieux soutien, avec des effets sérieux sur la croissance, et peut-être sur l’inflation », observe la présidente de la BCE.

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