Pierre Moscovici: “C’est d’abord la dépense publique qu’il faut réduire”

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Intéressant d’écouter le Premier président de la Cour des Comptes en France. Ses observations sur l’importance d’une trajectoire budgétaire sérieuse, la nécessité de maîtriser les dépenses publiques et la crédibilité financière du pays peuvent s’appliquer aussi bien à la Belgique qu’à la France.

 Ce mercredi, le Premier président de la Cour des Comptes française, Pierre Moscovici, a livré devant un groupe de journalistes financiers quelques réflexions sur la situation budgétaire française, finalement très proche de la nôtre, avec un budget en dérapage structurel, des prélèvements obligatoires au plafond et une gouvernance politique fragile.

Tout d’abord, le Premier président de la Cour des Comptes, ancien ministre des Finances socialiste, rappelle le calendrier. En France, le nouveau gouvernement  doit mettre les bouchées doubles s’il veut présenter un budget dans les temps. En gros, pour respecter notamment la période de débat parlementaire de 70 jours que prévoit la loi  française et la saisie du Conseil constitutionnel, il faut que le budget soit présenté avant le 15 octobre si l’on veut qu’il puisse être adopté cette année encore. « Si cela n’arrivait pas, il y a toujours des expédients », note Pierre Moscovici. Le gouvernement peut faire voter une loi spéciale pour lever des impôts, quitte à discuter du budget ensuite. Mais ce serait « très peu orthodoxe, » ajoute-t-il, et surtout, cela entacherait la crédibilité financière du pays. La France est en effet, avec la Belgique, sous le coup d’une procédure européenne pour déficit excessif. Ce qui nécessite de présenter d’ici à la fin de l’année (les deux pays ont demandé un peu de temps) avec une trajectoire de désendettement crédible.

Signaux de crédibilité

« Nous avons besoin de donner de forts signaux de volonté et de crédibilité, car il y a des interrogations sur les finances publiques françaises, souligne Pierre Moscovici. Ces interrogations sont liées à leur dégradation. Je n’ai pas besoin de vous rappeler les chiffres. Un déficit qui oscille entre 5,6 et 6 % en 2024 si des mesures ne sont pas prises, et qui, à politique inchangée, aboutirait à une dette publique qui se porterait de 110% à 124 % en 2027, avec des interrogations sur la qualité de cette dette. Nos  taux d’intérêt sont équivalents à ceux de l’Espagne, très supérieurs à ceux du Portugal et  notre spread (écart de taux, NDLR) avec l’Allemagne a doublé depuis la dissolution (de l’Assemblée nationale, en juin, suivie des élections législatives au début de l’été, NDLR). Ce spread n’est pas préoccupant, mais il faut absolument faire en sorte que l’on continue à garantir notre crédibilité sur les marchés. Pas pour complaire à je ne sais quel dieu argent, mais simplement pour que notre taux d’intérêt reste supportable, ce qui est une condition pour l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. »

Une trajectoire tenable

Alors,  quelle doit être cette trajectoire budgétaire ? Le patron de la Cour des Comptes française considère que celle qui avait été esquissée par Bruno Le Maire, l’ancien ministre de l’Économie et des Finances,  qui voulait réduire le déficit à 3% du PIB d’ici 2027 n’est pas tenable :  « Je considère de la manière la plus claire et la plus formelle que ce ne serait pas raisonnable. Je le dis sans doute avec regret -j’ai été ministre des Finances, j’ai été commissaire européen chargé des finances et mon rôle était de veiller au respect du pacte de stabilité et de croissance, – mais nous ne pouvons pas atteindre cet objectif d’ici à 2027 sans déprimer l’économie d’une façon qui serait tout à fait dommageable ».  Il faudra donc présenter à la Commission européenne une trajectoire « qui soit sans doute réaliste, mais qui soit aussi crédible », dit-il.

Vingt milliards

L’effort budgétaire que l’on s’accorde à estimer nécessaire et crédible pour remettre le budget français sur les rails devrait être d’une vingtaine de milliards d’euros par an jusqu’à 2029.  « La pente est de cette nature-là, confirme Pierre Moscovici. Nous avons besoin de retrouver un excédent primaire. Notre problème principal est là. »

Mais faut-il augmenter l’impôt ou réduire le train de vie de l’État ? L’effort à faire est clairement du côté des dépenses, répond le patron de la Cour des Comptes française, citant l’éducation et la santé, deux secteurs financièrement très gourmands, mais où la qualité de la dépense n’est pas au rendez-vous. « La vraie source de maîtrise des finances publiques reste la maîtrise de la dépense publique. Pour moi, les proportions sont assez claires. C’est d’abord la dépense publique qu’il faut réduire dans la durée. Quant à l’outil fiscal, il faut l’utiliser avec sagesse et mesure », dit-il, ajoutant que « chaque fois que l’on brandit l’étendard de l’impôt, même si on parle des plus riches et des grandes fortunes, tout le monde se sent concerné ou menacé. L’arme fiscale doit être utilisée avec beaucoup de précaution, d’intelligence et de précision. Et de surcroît,  le poids de la fiscalité est tout de même un élément de compétitivité. Ce n’est pas en matraquant fiscalement les agents économiques et les ménages que nous allons réussir à augmenter notre productivité. »

Les préalables au rapport Draghi

Justement, la productivité de la France et de l’Europe est au cœur des débats, avec le rapport rédigé par Mario Draghi qui estime que l’Union européenne a besoin d’investir massivement, tout de suite, de l’ordre de 800 milliards d’euros par an, pour combler l’écart de croissance et de compétitivité qui se creuse avec les États-Unis et la Chine.

Pierre Moscovici partage le constat de l’ancien Président de la BCE, tout en rappelant que pour un pays comme la France, mais c’est vrai aussi pour la Belgique, ce rapport ne pourra être mis en œuvre que si l’on « balaie devant sa porte » et que les pays qui le doivent redressent leurs finances.

Cet effort ne signifie pas l’abandon de son modèle social, souligne Pierre Moscovici.  « Nous devons vraiment rechercher la qualité de la dépense publique, et on peut le faire en maîtrisant sa quantité. J’ai lu le rapport Draghi et je suis très largement d’accord avec ses conclusions. Ce qu’il propose, c’est de généraliser ou d’étendre les mécanismes d’emprunts tels qu’ils ont été prévus au moment de la crise du covid avec Next Generation EU. Mais il y a quand même deux préalables pour ce faire. Le premier, c’est de s’assurer que ça marche. Or, pour le moment, l’usage des fonds européens ne semble pas parfaitement satisfaisant partout, notamment en Italie. La Cour des comptes européenne vient de publier un rapport sur le sujet. Le deuxième préalable, c’est que pour que nos partenaires frugaux consentent à emprunter, il faut que chacun prenne ses responsabilités. Il ne faut pas que l’emprunt européen devienne un substitut à l’absence de maîtrise nationale des finances publiques. Plus nous maîtriserons nos finances publiques, plus nous convaincrons nos partenaires de consentir à un emprunt mutualisé ».

Là où le bât blesse

C’est pourquoi le rapport Draghi a finalement reçu un accueil aussi timide, ajoute Pierre Moscovici. « Tout le monde souscrit au diagnostic :  la perte de croissance, le besoin d’être plus fort dans l’innovation technologique , la nécessité d’augmenter notre productivité. Tout le monde consent à l’idée qu’il faut plus d’investissements et une part plus importante d’investissements publics. Mais là où le bât blesse, c’est sur le financement. En 2001 la France avait exactement, à la décimale près, le même taux de dette publique que l’Allemagne, soit 58,5% du PIB. Nous sommes 23 ans plus tard et nous avons accumulé 49 points de plus que nos partenaires allemands. Comment voulez-vous qu’ils nous regardent et qu’ils souscrivent à notre frénésie pour l’emprunt européen?  A leurs yeux, l’emprunt servira à financer les déficits français. Donc, plus nous mettons notre maison en ordre, plus nous balayons devant notre porte, plus nous aurons des capacités d’action collective à l’échelle européenne. L’échelle européenne étant évidemment la bonne pour faire face à ce type de défi. »

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