Pétrole : le trésor secret qui finance les guerres de l’Iran
Une enquête de The Economist dévoile un réseau iranien de ventes de pétrole illicites brassant des milliards de dollars et défiant les États-Unis.
En cas de conflit avec Israël, l’Iran aura besoin de fonds importants. Non seulement pour acheter des armes et soutenir son économie, mais aussi pour réarmer des milices comme le Hamas et le Hezbollah. Beaucoup pensent qu’après des années de sanctions, Téhéran est à sec. Et qu’il pourrait avoir du mal à financer ses efforts de guerre. Rien n’est moins vrai.
Chaque année, l’Iran canalise des dizaines de milliards de dollars issus de ventes de pétrole illicites vers des comptes bancaires à travers le monde. Ce « trésor secret » a financé l’attaque du Hamas contre Israël il y a un an, l’utilisation de drones russes en Ukraine, et le programme nucléaire iranien. Il a déjà alimenté de nombreuses crises et pourrait bientôt contribuer à la plus grande de toutes. Pour comprendre comment l’Iran parvient à accumuler autant de liquidités, il faut se pencher sur son économie pétrolière, explique The Economist. Il y a six ans, lorsque l’administration Trump a réimposé un embargo, les exportations de brut iranien ont chuté. Mais depuis, elles ont été multipliées par douze, atteignant 1,8 million de barils par jour en septembre dernier. L’année dernière, ces ventes auraient rapporté entre 35 et 50 milliards de dollars, auxquels s’ajoutent 15 à 20 milliards de dollars d’exportations de produits pétrochimiques.
Pourtant, faire passer ce pétrole via un réseau de contrebande n’est pas simple. Blanchir discrètement des milliards de dollars à travers le système bancaire mondial l’est encore moins. Les États-Unis surveillent de près toute banque, même étrangère, qui traite des transactions en dollars. Comment l’Iran parvient-il à réaliser ce tour de force ?
Un réseau financier de l’ombre
The Economist a interrogé de nombreux acteurs ayant une connaissance directe du système pétrolier iranien. Son enquête révèle que le pays a construit un vaste réseau financier parallèle, qui va de ses plateformes pétrolières aux coffres virtuels de sa banque centrale. Les banques et places financières mondiales, souvent à leur insu, jouent un rôle clé dans cette machinerie. Selon une source familière des finances de l’Iran, en juillet, Téhéran disposait de 53 milliards de dollars, 17 milliards d’euros et d’autres devises dans des comptes à l’étranger.
C’est un pactole important, d’autant plus que l’Iran est toujours soumis aux sanctions les plus strictes jamais imposées par les États-Unis contre un pays. Cela complique énormément la réception et le déplacement de dollars, car chaque transaction en dollars, presque partout dans le monde, doit finalement être approuvée par une banque américaine. L’enquête montre qu’avec une bonne dose de détermination et quelques alliés, il est possible de contourner un embargo, et même de le faire à grande échelle, à la manière des cartels de drogue.
La National Iranian Oil Company (NIOC), la compagnie pétrolière nationale iranienne, détient un monopole sur la production. Sa filiale basée en Suisse, la Naftiran Intertrade Company (NICO), aide à vendre le pétrole à l’étranger. Mais une part croissante de la production est attribuée à des ministères iraniens, des organisations religieuses et même des fonds de pension, souvent en échange de services rendus. Ces derniers vendent ensuite eux-mêmes le pétrole, parfois pour plusieurs milliards de dollars.
Le pétrole, une liquidité alternative
Le pétrole brut devient peu à peu une forme de liquidité alternative. Mais le plus impressionnant reste le réseau bancaire parallèle de l’Iran. Ses principales entreprises pétrolières, comme la NIOC et la PCC (un grand exportateur pétrochimique contrôlé par le ministère de la Défense), disposent de départements financiers fonctionnant comme des banques.
Ces unités ont créé des entreprises en Iran, appelées « bureaux de change ». Ils gèrent les paiements étrangers illicites, non seulement pour les exportateurs de pétrole, mais pour une grande partie de l’économie iranienne. Ces bureaux ont fondé des sociétés-écrans, appelées « trusts », dont le but est de collecter et de transférer de l’argent. Elles sont basées dans le monde entier, souvent sous des noms évocateurs comme « Rainbow International Commercial Company » ou « Glorious Global Limited ».
Les propriétaires officiels n’ont qu’un rôle limité : dialoguer avec les autorités locales et donner procuration aux agents iraniens. Ils seraient environ 200 Iraniens possédant une double nationalité à gérer de telles sociétés en Europe.
Ingénieux et efficace, le système iranien n’en demeure pas moins coûteux. L’Iran reçoit 30 à 50 % de moins que ce qu’il pourrait obtenir sur un marché ouvert.
Le rôle de la Chine dans le commerce pétrolier clandestin de l’Iran
La Chine joue un rôle central dans ce réseau financier et commercial parallèle, en tant que principal acheteur du pétrole iranien. Les importations chinoises auraient atteint environ un million de barils par jour en 2023, représentant la majorité des exportations de pétrole de l’Iran. En 2021, la Chine et l’Iran ont signé un accord de coopération stratégique de 25 ans. Cet accord prévoit des investissements chinois en Iran à hauteur de 400 milliards de dollars. En contrepartie d’un accès privilégié au pétrole iranien à prix réduit.
Si certaines transactions sont effectuées via des réseaux de sociétés-écrans et de banques discrètes, une méthode couramment utilisée reste le troc. La Chine paie l’Iran non pas en espèces, mais avec des biens de consommation et des services industriels. Par exemple, la Chine exporte des produits manufacturés, des équipements industriels, et parfois des technologies sensibles en échange de pétrole iranien. Cette pratique permet à l’Iran de satisfaire une partie de ses besoins en produits divers, tout en contournant les obstacles financiers.
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