Pas encore adopté, l’AI Act est déjà dépassé: “Un report offrirait un répit bienvenu pour les entreprises”

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Vincent Genot
Vincent Genot Coordinateur online news

Alors que Bruxelles envisage de reporter certaines règles de l’AI Act, l’avocat Peter Van Dyck, spécialiste du droit du numérique chez A&O Shearman, perçoit les avantages d’une pause. Il estime qu’un moratoire temporaire permettrait à la fois de préserver la compétitivité européenne et de mieux préparer entreprises et autorités à ce nouveau cadre.

L’Union européenne semble prête à reporter l’application de certaines règles de l’AI Act, notamment pour les systèmes à haut risque. Où en est-on aujourd’hui ?

Ce qui est clair, c’est qu’il existe une prise de conscience croissante : des règles trop strictes sur l’intelligence artificielle pourraient affaiblir la compétitivité de l’Union européenne face au reste du monde. L’effet Bruxelles, sur lequel l’UE comptait – l’idée que d’autres régions s’inspireraient du cadre européen – ne s’est pas produit. Au contraire, on observe dans de nombreuses régions, et particulièrement aux États-Unis, une approche presque opposée, fondée sur la dérégulation. Dans ce contexte, tout le monde s’accorde sur la nécessité d’agir, mais les opinions divergent sur la manière d’y parvenir. Selon moi, l’Europe pourrait donner un peu d’air à ses entreprises, soit en suspendant l’application de certaines règles de l’AI Act, soit en simplifiant le texte.

Vous seriez donc favorable à une suspension temporaire ?

Oui. Il faut se souvenir que l’AI Act a été proposé en 2021, ce qui, à l’échelle de l’évolution technologique, relève presque de la préhistoire de l’IA. Depuis, la technologie a énormément progressé et le contexte géopolitique a changé. Prendre une pause permettrait au régulateur européen de réévaluer la pertinence du texte et de s’assurer qu’il ne nuit pas inutilement à la compétitivité des entreprises européennes.

Pour une entreprise belge qui développe ou intègre des outils d’IA dans les RH, la santé ou la logistique – donc dans des secteurs à haut risque –, que changerait un éventuel report ?

Un report offrirait un répit bienvenu. Les entreprises que j’accompagne sont presque toutes prêtes à se conformer à l’AI Act, mais elles se heurtent à deux grandes difficultés. D’abord, un manque de clarté : les lignes directrices sur les règles clés arrivent souvent très tard, parfois juste avant leur entrée en vigueur. Ensuite, un enchevêtrement réglementaire : en plus de l’AI Act, les entreprises doivent aussi se conformer au Data Act, au Digital Services Act, aux nouvelles lignes directrices du RGPD, et à bien d’autres textes. Dans ce contexte, suspendre temporairement l’AI Act permettrait aux entreprises de reprendre leur souffle et de préparer leur conformité de manière plus stratégique.

Quelles sont les priorités qu’une entreprise devrait maintenir, même si l’application de la loi est reportée ?

La première étape reste la cartographie des systèmes d’intelligence artificielle. Cela peut sembler simple, mais ça ne l’est pas. Il faut non seulement savoir quels systèmes sont utilisés, mais aussi déterminer leur niveau de risque au regard de l’AI Act. Un exercice complexe, car les lignes directrices sur les systèmes à haut risque ne sont pas encore définitives. Ensuite, il faut examiner la gouvernance interne : les politiques, la formation, la montée en compétence autour de l’IA. L’objectif est que toute l’organisation comprenne les enjeux de l’IA. Enfin, il faut regarder vers l’extérieur : quels sont les fournisseurs d’IA avec lesquels on travaille, et les contrats reflètent-ils la stratégie interne et les obligations du futur cadre réglementaire ? Chez A&O Shearman, nous aidons nos clients à rédiger des contrats types et des guides pratiques pour s’y retrouver.

Les autorités nationales, comme le SPF Économie en Belgique, sont-elles prêtes à faire appliquer l’AI Act ?

Elles se préparent activement. Mais elles sont confrontées aux mêmes contraintes que les entreprises : un calendrier serré et des moyens limités. Une pause dans l’application de l’AI Act leur permettrait également de se préparer plus efficacement et de définir une approche stratégique de la mise en œuvre. Nos clients veulent notamment savoir quelles seront les priorités de contrôle. Sur quels types d’obligations les autorités concentreront-elles leurs efforts au départ ? Pour l’instant, c’est encore une zone grise. Avoir de la clarté sur ce point aiderait les entreprises à concentrer leurs ressources sur ce qui compte vraiment. Enfin, un report donnerait aux autorités le temps de mieux dialoguer avec le secteur privé. Nous échangeons régulièrement avec elles. Et je constate qu’elles sont très ouvertes à la concertation. Car cela leur permet de mieux comprendre les réalités du terrain et d’affiner leurs priorités d’action.

Quel serait, selon vous, le pire réflexe d’une entreprise européenne dans ce contexte d’incertitude ?

Le pire réflexe serait de geler les préparatifs. Reporter l’AI Act ne doit surtout pas être interprété comme une invitation à suspendre les efforts de conformité. La tâche est immense et le temps reste compté. Les entreprises devraient plutôt voir cette pause comme une opportunité. Un délai supplémentaire pour se préparer avec davantage de méthode et de vision stratégique.

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