L’Uruguay pleure José « Pepe » Mujica, l’ancien président au parcours hors norme, mort à 89 ans. Ex-guérillero devenu figure de proue de la gauche latino-américaine, il aura incarné une rare tentative de concilier austérité personnelle, pragmatisme économique et engagement social.
Surnommé « le président le plus pauvre du monde », José « Pepe » Mujica s’était rendu célèbre en reversant près de 90 % de son salaire à un programme de logement social. Mais sa frugalité personnelle masquait mal l’ambition de son projet politique : replacer l’économie au service de l’humain, et non l’inverse. À la tribune de l’ONU ou lors du sommet Rio+20, il s’attaquait frontalement à la « religion de la croissance », au consumérisme et à ce qu’il appelait « le dieu marché ». Une voix dissonante dans une Amérique latine marquée par l’instabilité macroéconomique.
Ce chantre de la frugalité qui se disait “philosophiquement stoïcien” conduisait lui-même sa vieille Coccinelle et avait refusé de vivre dans la résidence présidentielle, préférant sa modeste ferme des environs de Montevideo. Il devait sa popularité à sa personnalité et à son verbe spontané, sans langue de bois et souvent polémique.
Un président progressiste mais contesté
Durant son mandat (2010-2015), Mujica a initié des réformes de rupture : légalisation du cannabis – une première mondiale –, ouverture du mariage aux couples de même sexe, dépénalisation de l’avortement. Sur le plan économique, son bilan est plus contrasté. Si la pauvreté a reculé et l’emploi progressé, le déficit budgétaire du pays s’est creusé, l’inflation s’est installée, et les investissements publics ont souffert d’un manque de coordination.
Des secteurs clés comme l’éducation, les infrastructures et la santé sont restés en souffrance, et certains observateurs lui ont reproché un manque de rigueur dans la gestion de l’État. D’autant que, contrairement à Lula au Brésil, Mujica ne s’est jamais appuyé sur une stratégie industrielle forte pour transformer le tissu productif uruguayen.
L’icône d’une autre gauche
Dans un paysage latino-américain souvent dominé par des figures autoritaires, Mujica faisait figure d’exception. Proche de Lula mais critique envers Maduro ou Ortega, il s’est démarqué par une ligne anti-populiste assumée. Son influence intellectuelle s’est étendue bien au-delà des frontières uruguayennes. Il était écouté à gauche comme à droite, et consulté comme une conscience morale. Le Premier ministre espagnol Pedro Sánchez, le président colombien Gustavo Petro ou encore le Mexique ont salué une figure « exemplaire » de l’éthique politique.
« La vraie richesse, ce n’est pas d’avoir beaucoup, c’est d’avoir juste assez ».
Fondateur du Mouvement de participation populaire, pilier du Frente Amplio (coalition de gauche), Mujica aura jeté les bases d’un projet politique à la fois progressiste et profondément ancré dans la réalité économique. Il reste aujourd’hui un point de référence pour une gauche en quête de crédibilité économique, à l’heure où les populismes de tous bords gagnent du terrain. Sa dernière bataille, il l’a livrée en campagne aux côtés de son héritier politique Yamandú Orsi, victorieux aux élections présidentielles de novembre 2024.
Pepe Mujica n’aura jamais voulu devenir une légende. Mais en choisissant d’être enterré sous un arbre dans sa ferme de Montevideo, aux côtés de sa chienne Manuela, il lègue au monde une image rare : celle d’un chef d’État convaincu que « la vraie richesse, ce n’est pas d’avoir beaucoup, c’est d’avoir juste assez ».
(Avec AFP)