Mer Rouge, Taïwan, Panama: regain de menaces sur le commerce mondial
Doit-on craindre le retour des pénuries? Les défenseurs de la mondialisation, réunis cette semaine à Davos, surveillent de près les tensions géopolitiques qui pourraient à nouveau entraver le commerce mondial, déjà secoué par la pandémie et la guerre en Ukraine.
“Nous pensions que les chaînes d’approvisionnement s’étaient normalisées après le Covid. Clairement, c’est un peu plus précaire après ce qui se passe en mer Rouge”, a déclaré Francesco Ceccato, le directeur de Barclays Europe, en marge de la réunion du Forum économique mondial qui se termine vendredi dans la station suisse des Alpes.
Ce constat est partagé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui espérait encore début octobre, avant l’attaque du Hamas contre Israël, une croissance du commerce mondial de marchandises de 3,3% cette année.
La directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, a reconnu que l’optimisme avait diminué en raison de “l’aggravation des tensions géopolitiques, les perturbations observées en mer Rouge, sur le canal de Suez et le canal de Panama”.
Elle a toutefois nuancé en affirmant que la situation serait quand même “nettement mieux” que la maigre croissance de 0,8% en 2023.
Attaques en mer Rouge
“Les Houthis (…) influent sur le commerce mondial et les coûts du transport maritime”, a souligné Karen Harris, économiste chez Bain, précisant que ce groupe soutenu par l’Iran multiplie les attaques contre des navires marchands qu’il estime liés à Israël en mer Rouge, une zone cruciale pour le commerce international.
Plutôt que d’emprunter le canal de Suez, de nombreux transporteurs optent désormais pour le détour par le cap de Bonne-Espérance, une option plus longue et coûteuse.
Vincent Clerc, directeur général de Maersk, poids lourd du commerce maritime, estime que cela “perturbera les chaînes d’approvisionnement pendant au moins quelques mois”. En conséquence, les constructeurs automobiles Tesla et Volvo ont déjà annoncé des suspensions temporaires de production en Europe en raison du manque de pièces détachées.
Le transport de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) sera également affecté, selon le Premier ministre du Qatar, Mohammed ben Abdulrahmane Al-Thani.
L’inconnue Taïwan
Les tensions entre Pékin et Washington liées à l’élection présidentielle à Taïwan ont également augmenté. La Chine considère Taïwan comme l’une de ses provinces et cherche à la réunifier par la force si nécessaire.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a souligné à Davos l’importance des échanges commerciaux passant par le détroit de Taïwan, avertissant que toute perturbation aurait des répercussions mondiales.
Francesco Ceccato souligne également “l’importance de Taïwan pour la production de semi-conducteurs”, ajoutant que toute perturbation dans le flux de ce produit susciterait des inquiétudes. Les puces, essentielles pour l’électronique des téléphones et des voitures, figuraient parmi les pénuries les plus criantes après la pandémie.
Sécheresse au Panama
Dans le canal de Panama, c’est la sécheresse et la pénurie d’eau liées au changement climatique et au phénomène El Niño qui réduisent le trafic des navires. Que ce soit pour des raisons politiques, naturelles, climatiques ou sociétales, comme pendant la pandémie, Tobias Meyer, le patron de DHL, explique à Davos qu’il y a désormais plus de sources de perturbations, augmentant ainsi la probabilité d’accumulation d’événements créant des “goulets d’étranglement” dans le transport mondial.
Bien que Tobias Meyer relativise l’impact des difficultés actuelles en soulignant que “la demande mondiale dans l’ensemble est encore assez faible” et qu’il y a “beaucoup de capacités maritimes disponibles”, Karen Harris estime que chaque perturbation renforce l’incitation au “nearshoring” ou “reshoring”, c’est-à-dire à l’implantation locale ou à la relocalisation de la production.
La situation géopolitique tendue favorise le retour de mesures protectionnistes, avec le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, appelant à “éviter une course aux subventions” lors du panel final de la réunion de Davos. Le Premier ministre chinois Li Qiang a également dénoncé les “mesures discriminatoires pour le commerce et l’investissement” prononcées à la tribune, faisant probablement référence aux restrictions américaines à l’exportation de certaines puces avancées au nom de la sécurité nationale.