Make Argentina Great Again : Après un an de Milei, quel bilan socio-économique pour l’Argentine ?

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En décembre 2023, Javier Milei accédait à la présidence de l’Argentine, porté par une promesse centrale : combattre l’inflation qui laminait le pouvoir d’achat des Argentins. Un an après, quel bilan économique provisoire peut-on tirer de son gouvernement ?

Depuis son arrivée au pouvoir, l’économiste libertarien Javier Milei a mis en place une série de mesures ultra-libérales destinées à réduire les dépenses publiques et à réformer l’économie argentine. Un an plus tard, Milei reste politiquement populaire puisque sa cote de popularité est encore à 52,3%. A l’international, il était l’un des invités de marque à Davos et lors de la cérémonie d’investiture de Donald Trump. Le bilan socio-économique de sa gouvernance est, par contre, nettement plus mitigé.

Inflation en baisse, mais toujours très élevée

L’inflation, qui avait atteint 254 % en janvier 2024, a continué à augmenter dans les premiers mois de la présidence Milei, culminant à 289,4 % en avril. Toutefois, elle a ensuite amorcé une nette décrue pour atteindre 166 % sur an en novembre 2024. Et celle-ci devrait continuer à baisser mécaniquement puisque depuis le mois de mai 2024, l’inflation mensuelle ne dépasse plus les 5 % et est même à moins de 3% aujourd’hui (contre 25 % fin 2023).

Le ralentissement de l’inflation, bien qu’encourageant sur le papier, s’est toutefois accompagné de politiques strictes impliquant des sacrifices importants pour la population. Concrètement : en supprimant ou réduisant les subventions sur les transports publics, l’énergie et d’autres services essentiels, la baisse des prix n’a pas compensé la perte de pouvoir d’achat des ménages, aggravant les difficultés quotidiennes des Argentins.

Un pouvoir d’achat en forte baisse et une pauvreté accrue

La politique de Javier Milei a entraîné une contraction significative de la consommation intérieure. L’indice des ventes dans les supermarchés, qui reflète les volumes d’achat des ménages, est passé de 90 avant son élection à environ 80 en moyenne sur les douze derniers mois, soit une chute de 20 % par rapport à 2017. Les Argentins consomment donc nettement moins, preuve que les mesures d’austérité impactent directement leur quotidien.

Ces difficultés économiques ont aussi entraîné des conséquences dramatiques sur la pauvreté. Le taux de pauvreté est passé de 41,7 % en décembre 2023 à 52,9 % en juin 2024. Parallèlement, le taux d’indigence – mesurant les personnes incapables de satisfaire leurs besoins alimentaires de base – a grimpé de 11,9 % à 18,1 % sur la même période. Ces chiffres témoignent d’une détérioration marquée des conditions de vie pour une grande partie de la population.

Une gestion budgétaire drastique : réduction du déficit et excédent historique

Javier Milei s’inscrit dans une philosophie anarcho-libertarienne, considérant l’État comme un frein au développement économique. Son objectif est de réduire au maximum le rôle de l’État, qu’il juge inefficace, et de laisser le marché s’autoréguler.  

Fidèle à son image de « tronçonneuse » brandie pendant sa campagne, Javier Milei a imposé des coupes budgétaires drastiques. L’État argentin a réduit ses subventions et son nombre de fonctionnaires (30 000 postes supprimés), tout en limitant les investissements dans des secteurs tels que l’éducation, la recherche ou la culture.

Ces mesures ont effectivement permis à l’Argentine de générer son premier excédent budgétaire depuis 2010, avec un surplus de 1,6 milliard d’euros en 2024 (soit 0,3 % du PIB). De plus, la dette publique extérieure a diminué de 5 milliards de dollars. Une amélioration perceptible mais pas suffisante que pour faire oublier que la dette reste une source majeure d’inquiétude.

Surtout que cette cure d’austérité na pas que des conséquences sociales. Elle a aussi un coût économique : le PIB a reculé de 3,5 % en 2024 après une baisse de 1,6 % en 2023. Les prévisions du FMI, qui soutient les réformes de Milei, indiquent toutefois une reprise de 5 % en 2025.

Une économie tournée vers l’exportation, mais vulnérable

Plutôt que de stimuler la demande intérieure, Javier Milei mise sur la relance des exportations et l’attraction des investissements étrangers. Cette stratégie a permis à l’Argentine d’enregistrer une balance commerciale positive en 2024. Les exportations, notamment agricoles (soja, viande bovine), ont légèrement augmenté, tandis que la baisse des importations liée à la réduction du pouvoir d’achat a également contribué à cet excédent.

Cependant, la forte dépendance de l’économie argentine aux exportations agricoles expose le pays à des aléas climatiques et économiques (sécheresses, inondations, fluctuations des marchés internationaux). Par ailleurs, l’Argentine souffre d’un manque de diversification économique et d’industrialisation, ce qui limite son potentiel de croissance à long terme. C’est d’autant plus vrai que pour stabiliser les prix et les anticipations d’inflation, il a ancré le peso argentin sur le dollar. « Or tant que l’inflation reste plus élevée en Argentine qu’aux Etats-Unis et dans le reste du monde, cette parité glissante (« crawling peg ») réduit la compétitivité du pays, donc sa capacité à créer de la richesse et des emplois par les exportations », précise Vincent Pons, professeur à l’université Harvard, dans Les Echos.

Dollarisation de l’économie

Pour protéger leur épargne face à l’inflation et à la dévaluation du peso, les Argentins achètent depuis des années des dollars, alimentant ainsi un cercle vicieux où la perte de valeur du peso s’accélère. Cette dynamique pousse l’État à instaurer des contrôles de change, connus sous le nom de “cepo cambiario”, limitant l’accès aux dollars. En conséquence, les Argentins se tournent vers le marché noir pour acheter des dollars au taux “blue”, plus élevé que le taux officiel.

Javier Milei souhaitait “dollariser” complètement l’économie argentine en remplaçant le peso par le dollar pour stabiliser l’économie. Son plan initial, qui nécessitait la dissolution de la Banque centrale, étant anticonstitutionnel, il vise désormais à libéraliser l’accès aux dollars, rapprocher le taux officiel du taux blue et supprimer les contrôles de change. Pour cela, il a dévalué le peso, faisant bondir son taux de 366 à 800 pesos pour un dollar dès son arrivée au pouvoir. Cependant, l’écart persistant entre le taux blue et le taux officiel reflète le scepticisme des Argentins quant à l’efficacité de ces réformes et la suppression des contrôles. Or les Argentins attendent beaucoup de cette dollarisation. Autant dire que si Milei ne parvient pas à éliminer le “cepo cambiario” en 2025, la note risque d’être électoralement salée.

Une économie en transition, mais à quel prix ?

Selon l’expert Xavier Dupret, économiste à l’Association culturelle Joseph Jacquemotte, à la RTBF, ce n’est qu’en “2025 qu’on verra si les méthodes Milei fonctionnent. Parce que couper dans les dépenses publiques pour réduire l’inflation, un enfant de 5 ans peut le faire. Mais relancer une machine économique, c’est autre chose”.

Un an après son arrivée au pouvoir, Javier Milei a effectivement réussi à inverser certaines tendances économiques, notamment l’inflation galopante, tout en réduisant le déficit budgétaire. Mais ces résultats ont été obtenus au prix d’une forte austérité, aggravant la pauvreté et réduisant le pouvoir d’achat des ménages.

En admettant que Javier Milei parvienne avec ses méthodes à relancer durablement l’économie, cela se fera donc probablement au prix de profondes inégalités sociales et d’une restructuration radicale de l’État argentin. Reste à savoir si les bénéfices économiques attendus à long terme réussiront à compenser les sacrifices déjà imposés à la population. Et dans quelle mesure et pour combien de temps cette dernière sera encore prête à l’accepter.

Rafael Di Tella, professeur argentin à Harvard, a comparé la désinflation « Milei » à 44 autres épisodes de désinflation réussie dans le monde depuis 1960. Selon lui, on peut en tirer trois leçons :
– La crise économique était trop importante pour qu’il soit possible d’y remédier sans mesures profondes (pour rappel l’inflation en janvier 2024 y était 20 fois supérieure au pic que la Belgique a connu).
– L’Argentine s’en tire pour l’instant plutôt bien
– On en est qu’à la moitié du chemin puisque pour que l’inflation ne soit définitivement vaincue il faut contrôler le taux de change pendant plusieurs années, ce qui risque d’augmenter encore le chômage et la pauvreté.

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