Macron, leader d’une Europe à un tournant, entre “force de l’âme” nationale et “patriotisme” à inventer


A l’heure d’un Sommet “existentiel”, les dirigeants européens doivent s’unir face à l’adversité. Le président Macron parle de “la force de l’âme”, mais reste focalisé sur la France. Le Hongrois Viktor Orban marchande en regardant Moscou. Le “patriotisme européen” reste à construire.
Depuis le début de la séquence infernale initiée par le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le président français, Emmanuel Macron, incarne le nouveau “leader” du monde libre. Il multiplie les rencontres, à différents formats, intègre le Royaume-Uni et le Canada et sonne le sursaut en matière de défense aux côtés de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen.
La “force de l’âme”
À vrai dire, heureusement qu’Emmanuel Maron est là pour sonner le tocsin, réveiller les torpeurs et tenter de surmonter les divisions, y compris en étant le premier à sauter dans un avion pour débattre avec Donald Trump. Jeudi soir encore, il a pris la parole pour mettre en garde contre la “menace russe”, réelle, et donner les modalités concrètes du sursaut. De l’effort qui sera nécessaire.
Sollicitant l’engagement des Français pour la “patrie” et faisant appel à leur “force d’âme” pour surmonter les difficultés à venir, Emmanuel Macron a insisté : “Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix. Il ne tient qu’à nous que nos enfants récoltent demain les dividendes de nos engagements.” Lourd de sens.
Ce n’est pas gagné. Dans la foulée, les questions tournaient surtout autour du coût des mesures à venir, de savoir qui va payer et de la possible réinstauration du service militaire. En interne, le centriste doit faire face à un Rassemblement national et à une France Insoumise largement inspirés par le discours de Moscou.
Au niveau européen, Macron a fort à faire pour convaincre certains. Jeudi, il a pris le temps de dialoguer avec le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, qui marchande comme toujours son soutien, lui dont la focale est également orientée vers la Russie. Quant à l’Italienne Giorgia Meloni, elle continue à défendre une unité de l’Occident avec un regard appuyé vers la nouvelle ligne de Washington.
Emmanuel Macron reste, en outre, le Président de la République française, ce qui montre les limites de l’exercice européen. Où est le Portugais Antonio Costa, président du Conseil européen, dont on se demande d’ailleurs bien qui connaît le nom?
Lorsqu’il propose de partager le parapluie nucléaire à ses alliés européens, Macron doit d’ailleurs s’empresser de préciser que seul le président de la République reste maître du bouton tragique. La responsabilité et le patriotisme européens restent à inventer.
Le “patriotisme européen”
Dans son bloc-note permanente, l’économiste Bruno Colmant constate: “Malgré les scintillements médiatiques et les promesses creuses, nous ne nous battrons pas pour l’Ukraine. Ni nous ni les Américains. Et si, aujourd’hui, la présidente de la Commission européenne parle de réarmement de l’Europe, c’est de manière défensive, non offensive.”
Mais il prolonge, surtout : “Si l’Europe existe de manière figurative, elle n’a pas pris racine dans l’humus des peuples, comme l’écrivait Stefan Zweig (1881-1942). Dans son texte de 1934, ‘L’Unification de l’Europe’, il anticipait notre situation: ‘Il faut prendre conscience des difficultés exceptionnelles qui entravent l’idée européenne, car elle n’appartient qu’à une mince élite et n’a pas de racines dans l’humus des peuples. Admettons la suprématie de l’idée adverse, le nationalisme. L’idée européenne n’est ni instinctive ni originelle ; elle naît de la réflexion, fruit mûri d’une pensée élevée, mais sans l’élan passionné du patriotisme’.”
Et de conclure : “Se battre pour l’Europe supposerait un patriotisme européen. Mais qu’est-ce que le patriotisme ? Un projet de société, un consentement à un avenir partagé, un assentiment à une solidarité, et surtout une aspiration démocratique. Malheureusement, c’est précisément ce que l’Europe ne représente pas.”
Tout reste à construire, alors que l’on n’a pas le temps.
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