Un dîner exclusif, 220 invités triés sur le volet, et une cryptomonnaie ultra-spéculative en guise de ticket d’entrée. Ce jeudi 22 mai, Donald Trump organise au Trump National Golf Club, près de Washington, un gala réservé aux plus gros détenteurs de son memecoin $TRUMP. Une opération à la croisée des chemins entre fan-service, marketing crypto et trafic d’influence… qui agite autant Wall Street que le Capitole.
Plus de 200 invités sont attendus jeudi dans un country club chic à proximité du fleuve Potomac, près de Washington, pour participer à un somptueux dîner offert par le président des États-Unis.
Les heureux élus ne sont pas hauts fonctionnaires ni membres d’une délégation officielle étrangère, mais les 220 personnes qui ont acheté le plus de $TRUMP, la cryptomonnaie de type “memecoin” lancée par Donald Trump. Les memecoins sont des jetons hypervolatils basés sur une personnalité ou un phénomène viral, conçus pour s’amuser et spéculer.
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Un dîner, 148 millions de dollars, et une promesse : Trump en personne
Les 25 plus gros investisseurs du $TRUMP bénéficieront d’un accès encore plus privilégié: une audience privée avec Donald Trump avant le dîner, à son club de golf de Potomac Falls, en Virginie, et une visite de la Maison Blanche. “L’INVITATION la plus EXCLUSIVE au monde”, peut-on lire sur un site web consacré à l’événement. “La question est: +Êtes-vous de la partie ?+”.

Des invités mystères
Le mystère plane encore sur la liste des 220 élus. Le classement, arrêté au 15 mai, n’affiche que des adresses de portefeuilles, la plupart reliées à des plateformes comme Binance, OKX ou Bybit, théoriquement inaccessibles aux Américains. Selon Bloomberg, parmi les 25 premiers figurent des milliardaires asiatiques, un cadre crypto de Los Angeles et Justin Sun.
La banane à 6,5 millions de dollars, c’est lui. Ce fantasque fondateur chinois de la blockchain Tron, déjà visé par la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme des marchés boursiers américains, en 2023, serait le principal détenteur de $TRUMP. Admirateur revendiqué de Trump, il aurait aussi investi dans d’autres projets crypto familiaux. Et depuis l’élection présidentielle, plusieurs procédures judiciaires à son encontre ont opportunément été mises en pause.
Selon le magazine Wired, parmi les invités, il y aurait aussi un cadre d’une plateforme de cryptomonnaies vivant à Los Angeles et issus d’une famille de milliardaires chinois.
Pour atténuer quelques peu les critiques, les organisateurs promettent un « test de sécurité » pour ceux qui assisteront au dîner. Seront aussi exclus les « individus ou entreprises » visés par des sanctions commerciales de la part des Etats-Unis, ou vivant dans des pays considérés comme soutiens du terrorisme (par exemple l’Iran, la Corée du Nord, la Syrie, le Yémen mais aussi l’Ukraine et la Russie).
Des dîners aux chandelles et en petit comité
Ce ne serait de toute façon pas le premier dîner « sponsorisé ». Donald Trump convierait régulièrement des hommes et femmes d’affaires à des dîners aux chandelles au prix d’entrée allant d’un à cinq millions de dollars par tête si l’on souhaite un tête-à-tête.
Elon Musk, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Sam Altman, Tim Cook ou encore le CEO d’Uber Dara Khosrowshahi feraient partie des plus grands contributeurs à ces événements selon le magazine Wired.
S’ils ont commencé avant l’investiture pour récolter des fonds, ils auraient continué après que Trump soit devenu président, toujours selon le magazine Wired.
Ainsi le 4 avril Jensen Huang, CEO du géant technologique Nvidia, s’est rendu à la villa de Mar-a-Lago, en Floride pour un repas au “prix d’entrée” estimé à 1 million de dollars par tête selon le média américain National Public Radio (NPR).
Plus gênant encore, selon The Guardian “On ne sait pas où vont les millions de dollars et à quoi ils serviront ».
Jackpot pour Trump et son entourage
Quoi qu’il en soit le dîner de jeudi représente peut-être l’entreprise commerciale la plus audacieuse de la seconde présidence de Donald Trump, brouillant encore davantage les frontières déjà floues de Washington entre la politique et les profits.
Pour Trump et sa galaxie, surtout, c’est en tout cas un jackpot : 324 millions de dollars générés en frais de transaction depuis janvier selon Chainalysis, dont 900 000 dollars en seulement deux jours après l’annonce du dîner.
Mais l’affaire fait désordre. À peine les invitations lancées, le Sénat américain a ouvert une enquête, alerté par l’ampleur des sommes brassées et la proximité inédite entre pouvoir exécutif et investisseurs anonymes. Le sénateur démocrate Richard Blumenthal dénonce un système où « n’importe qui dans le monde peut enrichir directement le président sous couvert d’anonymat blockchain ».
Dans son viseur : Fight Fight Fight LLC et CIC Digital LLC, les entités liées à la Trump Organization qui ont émis le token et détiennent encore 80 % des jetons en circulation.
Jetons à revendre
Après l’euphorie des débuts, le memecoin de Trump avait chuté, faisant perdre plus de 2 milliards de dollars cumulés à environ 810.000 acheteurs, d’après le cabinet Chainalysis pour le New York Times.
Fin avril, il n’atteignait plus que quelques dollars. A l’annonce du dîner, la valeur de $TRUMP a de nouveau grimpé. Pendant la durée de la la campagne d’achat, le prix du $Trump est passé de 7,50 à 14 dollars, note Reuters. Mais plusieurs sources indiquent que de nombreux gagnants de l’offre, qui a pris fin le 12 mai, revendent maintenant leurs jetons.
Un dîner qui ne fait pas les affaires de l’industrie des cryptos
L’industrie des cryptos a contribué à hauteur de plus de 100 millions de dollars à la campagne victorieuse de Trump. Elle attend beaucoup du président en matière de dérégulation, après des années de scepticisme de l’administration démocrate et des scandales majeurs, notamment l’effondrement de FTX, le géant des cryptomonnaies fondé par Sam Bankman-Fried, qui purge actuellement une peine de 25 ans de prison pour fraude massive.
Mais la controverse autour du dîner complique les efforts visant à adopter un cadre juridique plus clair pour les stablecoins, des actifs numériques considérés comme plus sûrs et mieux établis que les jetons plus spéculatifs du secteur.
“Le peuple américain mérite l’assurance inébranlable que l’accès à la présidence n’est pas mis en vente au plus offrant en échange du gain financier du président”, ont écrit les sénateurs américains Adam Schiff et Elizabeth Warren dans une lettre adressée au bureau chargé de prévenir les conflits d’intérêts au sein de l’administration.
“Gagner la course”
Longtemps hostile aux cryptomonnaies, Donald Trump essaie désormais de réduire les obstacles réglementaires. Il a signé un décret instituant une “réserve stratégique” alimentée par 200.000 bitcoins saisis dans des affaires civiles et pénales aux Etats-Unis.
Mais les démocrates les plus influents du Congrès bloquent d’autres avancées législatives, énervés par le dîner et d’autres initiatives de la famille Trump. Notamment un investissement dans la plateforme Binance, dont le fondateur cherche à obtenir une grâce présidentielle pour revenir sur le marché américain.
Eric Trump, fils du président, et Zach Witkoff, fils de Steve Witkoff, conseiller diplomatique de Trump, ont annoncé en avril à Dubaï que le fonds émirati MGX, soutenu par l’État, utiliserait USD1, la cryptomonnaie de leur entreprise World Liberty Financial, pour investir 2 milliards de dollars dans Binance. En outre, American Bitcoin, une autre entreprise soutenue par les fils aînés de Trump, Eric et Donald Jr, a récemment annoncé son intention d’entrer à la Bourse de New York.
Cette société s’appuiera sur la baisse des coûts de l’énergie pour réduire le coût du minage de bitcoins aux États-Unis. “Les États-Unis ont gagné la course à l’espace. Nous ferions bien de gagner la course aux cryptomonnaies”, a récemment déclaré Eric Trump à la chaîne CNBC.