L’invasion de l’Ukraine par la Russie, un conflit qui s’enlise
Malgré les protestations, la guerre menée par la Russie en Ukraine pourrait se diriger vers une impasse.
“Nous n’estimons pas que le conflit est dans une impasse”, a insisté Jake Sullivan, conseiller américain à la sécurité nationale, à la fin du mois d’août 2023. Selon lui, l’Ukraine s’empare de territoires “de manière méthodique et systématique”. Hélas, tout porte à croire que la contre-offensive de l’Ukraine s’est arrêtée bien en deçà de l’objectif minimal qu’elle s’était fixé, et que la guerre pourrait bien être entrée dans une période d’impasse militaire. L’année à venir sera une période difficile et dangereuse pour l’Ukraine.
Sa contre-offensive, qui a débuté en juin, a fait de modestes progrès sur les flancs de Bakhmout, une ville de l’est que la Russie a capturée en mai, et dans le sud, dans la province de Zaporijjia. La fatigue des troupes, le manque de munitions et le temps pluvieux vont maintenant ralentir les offensives tout au long de l’hiver, même si les attaques de petites unités d’infanterie se poursuivront à un niveau moins élevé.
L’hiver sera probablement marqué par une nouvelle et intense campagne de frappes à longue portée de la part des deux parties. La Russie a stocké des missiles et est susceptible d’attaquer à nouveau le réseau électrique ukrainien. L’Ukraine a accumulé des drones et poursuivra ses frappes sur la Crimée occupée par la Russie, aidée par une petite injection de missiles ATACMS fournis par les Etats-Unis. Elle pourrait également étendre ses attaques au réseau électrique russe, en partie pour établir une forme de dissuasion. Les frappes peuvent améliorer le moral des Ukrainiens, mais leur impact stratégique risque d’être modeste.
La question cruciale pour 2024 est de savoir quelle partie peut reconstruire le plus rapidement des forces de haute qualité. C’est en partie une question de main-d’œuvre. L’armée russe n’a pas atteint ses objectifs de recrutement, mais a rassemblé suffisamment de troupes pour tenir la ligne pendant l’été. Si elle veut passer à l’offensive, comme elle l’a fait au cours de l’hiver 2022-23, elle devra peut-être procéder à une vague de mobilisation plus importante. Elle dispose également d’un grand nombre de conscrits, mais les engager dans la guerre impliquerait des risques politiques importants. L’Ukraine doit également décider si elle enrôle des hommes âgés d’une vingtaine d’années, dont beaucoup ont jusqu’à présent échappé à l’appel sous les drapeaux.
Les hommes ont également besoin d’armes et de munitions. La Russie a accéléré sa production de défense à la fin de 2022 et devrait produire entre 1 et 2 millions d’obus en 2024, ainsi que des centaines de chars neufs ou remis à neuf. Si la Corée du Nord ouvre ses armureries à la Russie en échange de technologies militaires, cela donnera un sérieux coup de pouce. Les gouvernements occidentaux ayant investi plus tard, il est peu probable que l’Ukraine dispose d’un avantage en matière de munitions d’artillerie – le facteur le plus important au niveau tactique – avant la fin de 2023 ou le début de 2024.
L’Ukraine ne bénéficiera pas d’un nouvel afflux massif d’équipements, comme ce fut le cas au printemps 2023. L’accent sera mis sur l’aide occidentale pour la réparation des équipements. Les gouvernements occidentaux devront décider s’ils rouvriront les chaînes de production d’armes qu’ils n’utilisent plus ou s’ils transmettront la propriété intellectuelle sensible aux usines ukrainiennes. L’arrivée de la bombe américaine de petit diamètre lancée au sol (GLSDB) au début de l’année 2024 permettra à l’Ukraine de reconstituer son arsenal de missiles à plus longue portée. L’Ukraine recevra également des avions à réaction F-16, bien qu’il soit peu probable qu’ils aient à eux seuls un effet transformateur sur le champ de bataille.
La mer Noire pourrait devenir de plus en plus centrale, la Russie attaquant les cargos et l’Ukraine frappant la flotte et les installations russes.
Campagne de printemps
Le choix du moment est important. Chaque partie espère prendre l’initiative. L’Ukraine souhaite maintenir une offensive de printemps au programme, mais aura du mal à rassembler la puissance terrestre nécessaire pour y parvenir. Vladimir Poutine, le président russe, voudra également que son armée reparte à l’assaut. Il est possible que des troupes mal entraînées soient à nouveau jetées dans des batailles épuisantes qui affaiblissent l’armée russe sans déplacer la ligne de front. Le risque est que cela immobilise les meilleures unités ukrainiennes.
L’un des principaux défis pour 2024 –et qui façonnera l’année suivante– est de savoir si les partenaires de l’Ukraine peuvent développer et réformer l’entraînement. L’offensive estivale de l’Ukraine a mis en lumière de nombreux problèmes. Certains devront être résolus si l’Ukraine veut que sa prochaine offensive sérieuse soit plus fructueuse. Les bataillons et les brigades ukrainiens, par exemple, ont besoin de beaucoup plus d’officiers d’état-major capables de planifier et de commander des opérations complexes impliquant de nombreuses unités sur un large front.
Facteurs extérieurs
Si aucune des deux parties ne peut générer une menace offensive significative en 2024, la guerre sera probablement dominée par des facteurs extérieurs au champ de bataille. La mer Noire pourrait devenir de plus en plus centrale, la Russie attaquant les cargos et l’Ukraine frappant la flotte et les installations russes. Le sommet de l’Otan qui se tiendra à Washington en juillet sera considéré comme un test du soutien occidental.
La stratégie de la Russie est simple : continuer jusqu’à ce que les partenaires de l’Ukraine se lassent. L’approche occidentale est la même. Les responsables optimistes affirment que la guerre accélère la décomposition politique de la Russie. Mais les pessimistes préviennent que Vladimir Poutine peut continuer ainsi pendant des années.
Joshi Shashank, journaliste spécialiste de la défense à “The Economist”
Traduit de “The World in 2024”, supplément de “The Economist”.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici