Les swaps en dollars : Trump utilisera-t-il sa bombe atomique monétaire ?

Donald Trump © Getty
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Les États-Unis sont entrés avec le reste du monde dans une politique de la canonnière, cherchant à imposer à leurs « partenaires » commerciaux des décisions qui vont toutes dans le sens unilatéral de ce que l’administration américaine pense être les intérêts américains.

Peu importe si ces décisions sont des mesures économiquement intelligentes. Donald Trump le pense. La question est donc de savoir comment la Maison Blanche peut imposer ces mesures ?

Elle peut brandir diverses menaces (sorties de l’OTAN, augmenter encore les droits de douane, saisir des actifs…) mais une des armes les plus redoutables à sa disposition, ce sont les swaps en devises. On explique.

La source du dollar

On pense souvent que les dollars dont les entreprises européennes ont besoin proviennent de leurs exportations vers les États-Unis. Mais c’est faux, car ces dollars perçus en exportant ne suffiraient pas à étancher la soif de dollars en Europe. Le système monétaire mondial actuel repose en effet sur le billet vert. Les entreprises européennes, par exemple, ont besoin du dollar, non seulement pour acheter des biens et services américains, mais aussi pour réaliser une série de transactions avec des partenaires étrangers non américains. L’exemple le plus simple, c’est le pétrole : le prix du baril est libellé en dollars. On a besoin de dollar pour faire rouler sa voiture.

Mais le besoin du dollar vient aussi des marchés financiers :  les investisseurs non européens achètent massivement des obligations et des actions américaines. Or pour cela, il faut des contrats d’échanges de devises, autrement des swaps. « Lorsqu’une entreprise ou une institution non américaine souhaite investir dans des obligations ou des actions américaines tout en se protégeant contre les fluctuations des taux de change, les swaps de devises fonctionnent comme un prêt en dollars garanti par une devise étrangère », explique George Saravelos, économiste auprès de la Deutsche Bank. Les contreparties non américaines empruntent des dollars en échangeant leur propre devise, et ces accords de swap de devises sont généralement renouvelés à des échéances de moins d’un an », dit-il.

Ces swaps – échange de devises étrangères, comme l’euro, pour avoir du dollar – constituent un marché énorme, qui montre bien la prédominance du dollar dans le système mondial. On parle de contrats qui pèsent 100 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB mondial.

La fragilité

Or, il existe une grande vulnérabilité, souligne George Saravelos. « La majorité des swaps de devises ont des échéances relativement courtes, mais les actifs en dollars correspondants sont de beaucoup plus longue durée, générant un important déséquilibre de liquidité entre actifs et passifs ». Il peut donc y avoir des tensions, comme on en a vu par exemple en 2008 lorsque toutes les banques, et donc les banques américaines, se sont assises d’un coup sur leurs liquidités, asséchant le marché du dollar et faisant vaciller le château de cartes bancaire mondial.

C’est là que la Fed intervient pour assurer au marché, et donc au monde, qu’il y a suffisamment de dollars. La Fed agit comme prêteur international de dernier ressort, et elle a décaissé des centaines de milliards en 2008, mais aussi en 2020, lors du début de la pandémie. Une précision technique : ces accords de swaps se font entre banques centrales : la Fed a conclu des accords de swaps avec les 14 plus grandes banques centrales du monde. Ainsi, après avoir déterminé le besoin en dollars des banques européennes, c’est la BCE qui dispose d’un accord de swap avec la Fed, et échange donc des euros contre des dollars.

L’arme des swaps

Tout cela pour dire que sans la Fed et son rôle de prêteur en dernier recours via ces accords de swaps, le système financier mondial serait beaucoup plus instable. « Si la Fed n’était pas intervenue pendant la crise financière de 2008/09 et la pandémie de COVID, les réserves des banques centrales étrangères et des prêteurs internationaux comme le FMI n’auraient probablement pas été suffisantes pour répondre à la demande mondiale de dollars, entraînant une augmentation encore plus importante des coûts d’emprunt en dollars qu’à l’époque, des défauts de paiement et potentiellement des implications systémiques pour le système financier mondial », rappelle George Saravelos.

Or, l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et l’idéologie de son principal conseiller financier, Stephen Miran, qui désire faire plier le monde devant les intérêts américains, font craindre que les Etats-Unis, un jour ou l’autre, n’utilise l’arme des swaps pour obliger par exemple les Européens à accepter leurs tarifs douaniers ou l’invasion du Groenland. Vous acceptez nos conditions, sinon, plus de dollar.

 La menace n’est pas imminente, puisque la Fed est encore indépendante et que son président, Jerome Powell, n’est pas un fan de l’idéologue MAGA. Mais le mandat de Powell se termine dans un an, en mai 2026. Donald Trump veut mettre la main sur la banque centrale et le successeur de Powell sera sans aucun doute un disrupteur. Dans quelques mois, donc, l’administration Trump pourrait ainsi disposer d’une arme monétaire de destruction massive, et connaissant ses méthodes actuelles, il serait très étonnant qu’elle ne menace pas de l’utiliser.

Inquiétudes européennes

Officiellement, bien sûr, personne ne veut se prononcer sur la question. Mais l’agence Reuters a appris que les responsables européens ont tenu des discussions informelles sur cette question, car leur confiance dans le gouvernement américain a été ébranlée par certaines politiques de l’administration Trump, vis-à-vis de l’Ukraine, de l’OTAN, des tarifs douaniers…

La dernière fuite de la messagerie Signal dans laquelle le vice-président américain JD Vance fait part de son dégoût pour renflouer les Européens, alors que d’autres hauts responsables ne cachent pas leur mépris pour l’Europe, n’est pas faite pour les rassurer.

Ce qui n’est pas fait pour rassurer non plus, c’est qu’il n’y a aujourd’hui aucune véritable solution pour remplacer le dollar, et donc ces swaps.

Le seul argument, très fort, qui empêcherait les États-Unis de couper le robinet du dollar est que la décision serait suicidaire. Si les swaps sont fermés, le système financier occidental dans son ensemble, en ce compris les banques américaines, souffrirait terriblement. Et pas seulement les banques d’ailleurs. Sans être abreuvées de dollars par la Fed, le reste du monde vendrait en panique les actifs en dollars qu’il détient, pour avoir des billets verts. Cela ferait plonger la bourse, mais aussi le marché obligataire. Les taux d’intérêt en dollars monteraient, ce qui frapperait de plein fouet les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics américains qui seraient menacés d’insolvabilité. Supprimer les swaps en dollars serait comme jeter une bombe nucléaire sur son voisin, une bombe tellement forte qu’elle vous détruirait aussi.

Cette décision sonnerait aussi le glas de la crédibilité du dollar comme devise internationale et comme devise de réserve. Elle accentuerait à très grande vitesse la dédollarisation du monde. Rationnellement, tout plaide donc pour que l’administration Trump n’appuie pas sur le bouton. Mais l’exemple des droits de douane appliqués ces dernières heures sur l’automobile fait s’interroger : l’administration américaine est-elle rationnelle ?

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