Les superbactéries, une bombe à retardement économique

superbactéries © Getty
Muriel Lefevre

La résistance des bactéries aux antibiotiques est en train de devenir un défi économique majeur. Selon des projections récentes, les «superbactéries» pourraient coûter à l’économie mondiale près de 2 000 milliards de dollars par an d’ici 2050.

L’absence de traitement pour certaines maladies infectieuses peut être la source de conséquences économiques considérables. Une réalité que la pandémie de Covid-19 a brutalement rappelée. Or une autre crise sanitaire se profile : celle de la résistance aux antibiotiques.

1700 milliards de pertes annuelles

Une étude menée dans 122 pays par le Center for Global Development révèle que, sans action concertée, la résistance aux antimicrobiens (RAM) pourrait entraîner des pertes annuelles de 1 700 milliards de dollars de PIB mondial, voire plus, au cours des vingt-cinq prochaines années. Cette menace ne concernerait pas uniquement les pays en développement, mais également les économies du G7 : États-Unis, Royaume-Uni et Union européenne figurent parmi les plus exposées.

Ce constat est d’autant plus préoccupant que ces mêmes gouvernements ont réduit leurs investissements dans la lutte contre la RAM, ce qui pourrait accélérer la progression de la résistance selon les scénarios les plus pessimistes de l’étude. Le risque d’un effet domino est en effet bien réel. « En coupant les programmes d’aide, on laisse se développer des foyers de résistance qui ne s’arrêteront pas aux frontières », alerte l’un des auteurs.

Des pertes économiques chiffrées en milliards

Dans le pire des cas, d’ici 2050, les pertes annuelles de PIB pourraient atteindre 722 milliards de dollars en Chine, 295,7 milliards aux États-Unis, 187 milliards dans l’Union européenne, 65,7 milliards au Japon et 58,6 milliards au Royaume-Uni. Cette contraction économique s’expliquerait par une baisse de productivité, l’explosion des coûts de santé et la désorganisation croissante des systèmes hospitaliers.

Les infections résistantes sont deux fois plus coûteuses à traiter que celles répondant encore aux antibiotiques. Les superbactéries exigent des traitements de deuxième ou troisième ligne, plus complexes, plus longs et plus onéreux, avec une augmentation notable des hospitalisations et de la durée des séjours.

Actuellement, le coût mondial des soins liés aux RAM s’élève déjà à environ 66 milliards de dollars par an. Il pourrait grimper à 160 milliards d’ici 2050, soit 1,2 % des dépenses mondiales de santé. Et selon les dernières estimations, cette facture pourrait même atteindre 176 milliards si la situation continue de se détériorer.

Par ailleurs, la montée des résistances pourrait entraîner la disparition de plus de 7 millions de travailleurs dans le monde, du fait de décès ou d’incapacités de longue durée. Les prévisions tablent sur une baisse de 0,8 % de la main-d’œuvre au Royaume-Uni, 0,6 % dans l’UE et 0,4 % aux États-Unis. Le tourisme mondial ne serait pas épargné, avec une chute estimée à 2 %, tandis que la restauration et les séjours domestiques subiraient une baisse d’environ la moitié de ce chiffre.

Près de 40 millions de morts

Et cela, sans même compter les décès. Car si les médicaments actuels cessent d’être efficaces, une simple infection pourrait devenir mortelle. D’après l’Institute for Health Metrics and Evaluation (IHME), les décès liés aux RAM devraient augmenter de 60 % d’ici 2050, atteignant 1,34 million de morts par an aux États-Unis et 184 000 au Royaume-Uni. Le Center for Global Development (CGD) prévoit, en l’absence de mesures ambitieuses, 38,5 millions de morts liées à la RAM entre 2025 et 2050. Le scénario le plus sombre évoqué dans une étude publiée par Nature évoque jusqu’à 40 millions de décès supplémentaires, dont près de 70 % concerneraient des personnes âgées de plus de 70 ans.

Un retour sur investissement de 28 dollars pour chaque dollar dépensé

Ces constats sont d’autant plus alarmants que des solutions existent. Investir dès aujourd’hui dans le traitement des infections bactériennes permettrait à la fois de sauver des vies et de générer d’importants retours économiques à long terme. Si la crise semble avant tout sanitaire, elle pourrait rapidement se transformer en catastrophe économique.

Selon une étude publiée en 2024, un investissement annuel de 63 milliards de dollars suffirait à financer le développement de nouveaux antibiotiques et à garantir un meilleur accès aux traitements dans le monde entier. À l’horizon 2050, cette stratégie permettrait une hausse du PIB mondial de 960 milliards de dollars, ainsi que des gains de santé estimés à environ 680 milliards de dollars, si chaque année de vie en bonne santé est valorisée au PIB par habitant. De manière presque cynique, cet investissement offrirait un retour estimé à 28 dollars pour chaque dollar investi, selon Anthony McDonnell du Center for Global Development dans une chronique parue dans le Financial Times.

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