Les risques liés à la montée du populisme

Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

2024 a été une année électorale chargée, avec une montée en puissance des partis populistes et une menace, pour l’an prochain, d’une multiplication de barrières protectionnistes entre l’Europe et les États-Unis.

En cette fin d’année 2024, le populisme ne s’est jamais aussi bien porté. En Europe, le PVV du Néerlandais Geert Wilders est au gouvernement. En Hongrie, Viktor Orban est plus que jamais au pouvoir. En Slovaquie, le populiste pro-russe Robert Fico est devenu Premier ministre en 2023. En Italie, Giorgia Meloni préside le Conseil des ministres depuis 2022. En Suède, les populistes soutiennent le gouvernement sans y participer.

Chez nous en Belgique, nous avons vu apparaître les premières communes gouvernées par le Vlaams Belang alors qu’à Mons, notamment, le PTB est entré dans la coalition. Ailleurs, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, etc., populistes de droite et de gauche obtiennent des scores électoraux importants. En dehors de l’Europe, Javier Milei préside l’Argentine depuis un an. Et, au sommet de cette vague, aux États-Unis, Donald Trump a remporté les dernières élections présidentielles, le 5 novembre dernier.

“Nous avons eu une année 2024 extrêmement riche en matière d’élections. Je pense que le populisme au sens très large, si on agrège les différents extrémismes, est en très bonne santé et pourrait continuer sa progression en rejoignant des exécutifs là où il y a eu des élections en 2024 et où les gouvernements ne sont pas encore formés”, observe Benjamin Biard, politologue au Crisp. Il ajoute qu’au Parlement européen, “nous avons vu le poids des populistes être renforcé également : il y a désormais trois groupes clairement d’extrême droite”.

Pour le politologue, le populisme n’est pas une idéologie. “C’est, selon moi, un style politique, explique Benjamin Biard. Un style de communication par lequel on crée un antagonisme entre un peuple paré de toutes les vertus et des élites – politiques, économiques, financières, médiatiques, académiques, culturelles – parées de tous les vices et accusées de suivre leurs propres et uniques intérêts.”

Le populisme incarne un ressentiment qui se nourrit dans la population. Il n’est pas similaire à l’extreme droite.
Benjamin Biard

Benjamin Biard

Le populisme agit donc comme agrégateur de frustration. “Il incarne un ressentiment qui se nourrit dans la population, poursuit-il. Il n’est donc pas similaire à l’extrême droite. Il peut être mobilisé par des acteurs qui défendent une idéologie d’extrême droite ou d’extrême gauche ou, comme en Italie avec le mouvement cinq étoiles, une idéologie que l’on arrive assez mal à situer.” Le populisme n’est pas neuf, certains le font remonter à la Révolution française, voire à l’Antiquité. Ce qui est neuf, en revanche, c’est “ce nouvel essor qui se distingue notamment par le rôle des réseaux sociaux et du web de manière plus générale. Et qui permet une plus grande circularité des fake news, avec une réelle intention de tromper, qui libère la parole populiste et permet à des leaders d’émerger”, ajoute Benjamin Biard.

1. Y a-t-il un modèle économique populiste ?

“La vague populiste, c’est un ressac, poursuit le Deputy CEO de Credendo Nabil Jijakli. Elle fait mine de se retirer, puis elle revient en force. Un des dénominateurs communs de tous ces partis est la peur des migrations, supposées ou réelles. Si l’on regarde les statistiques, en effet, nous sommes assez éloignés d’une vague migratoire. C’est aussi le sentiment d’être exclus du progrès de la digitalisation et la peur de la paupérisation. Et c’est aussi le rejet des technocrates et des solutions prises loin de chez soi.”

Sur le plan socio-économique, même si les populistes ont des programmes parfois très vagues, “ils se définissent souvent comme ‘anti’ : antivax, anti-immigration, etc. Une première conséquence de ceci, et la crise du covid en a été la démonstration exponentielle, est que les régimes populistes sont ceux qui gèrent le plus mal les crises, poursuit-il. Il suffit de regarder ce qui s’est passé aux États-Unis ou au Brésil. Ensuite, et cela remet en cause la stabilité économique, le populisme fracture et polarise la société. Enfin, c’est un frein au libre-échange : les programmes de ces partis incluent des barrières à l’immigration, des barrières tarifaires et commerciales.” Bien sûr, il y a toujours eu des barrières commerciales, mais l’air du temps leur est particulièrement propice. “Le nombre de barrières commerciales a explosé depuis 2020, souligne Pascaline della Faille, Country and Sector Risk Manager chez Credendo.

Et parallèlement aux barrières, on a vu aussi la multiplication des mesures de soutien, comme l’Inflation Reduction Act aux États-Unis. De nombreux gouvernements ont des politiques industrielles qui visent à protéger leur industrie. L’Europe ne l’a pas encore fait, comme le montre le récent rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne. Il souligne que l’Europe reste fragmentée et que le soutien local effectué par chaque pays à ses entreprises est trop faible.”

2. Quel impact auront les “Trumponomics” ?

Aux États-Unis, la politique de Joe Biden a donc consisté à attirer les investisseurs étrangers. Celle de Donald Trump devrait, si l’on en croit ses discours, se porter sur les tarifs douaniers. Il l’a répété lors de sa campagne, il veut instaurer un tarif douanier de 10 ou 20% sur tous les produits importés, donc les produits européens, et de 60% sur les produits chinois. Cela rappelle les taxes décidées par Trump lors de son premier mandat.

“En 2018, Donald Trump a voulu taxer à 30 % l’acier et l’aluminium qui venaient de Chine, rappelle Sylviane Delcuve, Senior Economist chez BNP Paribas Fortis. Cela a suscité un branle-bas de combat. Très rapidement, on a vu dégringoler les indicateurs de confiance des patrons américains, qui se sont vite rendu compte qu’en fait, c’étaient eux qui étaient punis.”

L’été dernier, des consultants de Roland Berger avaient écrit que la politique protectionniste de Trump, en tenant compte des effets indirects sur le ralentissement des échanges commerciaux, de la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt, allaient coûter davantage aux États-Unis qu’à l’Europe. Ils estiment en effet l’impact annuel de ces mesures à 827 milliards d’euros pour l’économie chinoise, 749 milliards d’euros pour les États-Unis et 533 milliards d’euros pour l’Europe.

“Je ne suis donc pas certaine que la première chose que Trump fera sera de dégainer des droits de douane, ajoute Sylviane Delcuve. Il va avoir plus de poigne dans les négociations commerciales, ça c’est évident et il ne laissera pas son marché se faire envahir.” La simple menace des droits de douane pourrait toutefois suffire à peser dans les négociations entre les États-Unis et leurs partenaires.

Une politique tarifaire raisonnée n’est cependant pas toujours mauvaise : “Regardez ce qui s’est passé en Europe avec les panneaux solaires chinois, rappelle Sylviane Delcuve. Nous nous sommes retrouvés noyés en Europe sous les panneaux photovoltaïques chinois, qui ont tué l’industrie européenne naissante. Le prix d’un panneau solaire a tellement baissé qu’aux Pays-Bas, les gens qui veulent séparer leurs jardins achètent des panneaux solaires parce qu’ils sont moins chers que le grillage.” 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content