Les entreprises, qui ont réduit leur dépendance à la Chine, voient leurs stratégies menacées par la guerre commerciale de Trump

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Pendant des années, les entreprises ont cherché, en s’éloignant de la Chine, à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement. Cependant, la récente guerre commerciale initiée par Donald Trump menace de détruire les économies qui ont bénéficié de cette diversification.​

De nombreux chefs d’entreprises, dont les produits sont principalement écoulés sur le marché américain, sont confrontés à un bouleversement majeur de leurs plans soigneusement élaborés depuis des années. En effet, anticipant une possible augmentation des tarifs sur les produits chinois lors du second mandat de Trump et afin de diversifier leur production au-delà du sud de la Chine, ils ont décidé d’investir dans les pays comme le Cambodge par exemple. Cependant, l’annonce récente d’une taxe douanière de 49 % sur toutes les importations américaines en provenance du Cambodge a remis en question cette stratégie.

Et ils sont actuellement nombreux à envisager de se retirer ​du Cambodge si ce tarif de 49% reste tel quel…

Un préjudice pour les entreprises et pour les pays

Si pour certaines sociétés se retirer du Cambodge est relativement aisé, l’investissement étant encore à un stade précoce ; pour de nombreuses autres entreprises, qui possèdent des usines bien établies dans ce pays et qui emploient des milliers de travailleurs, la nouvelle de cette taxe est tout simplement dévastatrice.

De nombreux pays d’Asie du Sud-Est et d’Asie du Sud — y compris le Laos, le Vietnam, le Myanmar et le Sri Lanka — ont été frappés par des tarifs supérieurs à 40 %, ce qui pourrait paralyser leurs économies extrêmement vulnérables et dépendantes des exportations.

Depuis plus de 15 ans, ces nations bénéficient des investissements mondiaux cherchant des alternatives aux chaînes d’approvisionnement chinoises, devenues progressivement plus coûteuses. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, ainsi que la pandémie de Covid-19, avaient accéléré cette tendance. Les industries à forte intensité de main-d’œuvre sont ainsi devenues des moteurs majeurs de la croissance économique de ces pays.​

Des entreprises ont déjà quitté
Des marques internationales de premier plan telles que Nike et Adidas ont progressivement délocalisé leurs chaînes de production vers l’Asie du Sud-Est, afin de réduire leur exposition à la Chine, engagée dans un bras de fer géopolitique avec les États-Unis.
« L’impact négatif de ces droits de douane sur l’ensemble de l’économie sera considérable », déclarait Ahmed Albayrak, chercheur associé au Lowy Institute’s Indo-Pacific Development Centre à Sydney, à CNN. Il alerte sur le risque de contraction de la production et de pertes massives d’emplois.

L’économie cambodgienne dans la tourmente

Aujourd’hui, l’économie cambodgienne repose principalement sur l’agriculture, le tourisme, et surtout sur l’industrie manufacturière, notamment en raison du faible coût de la main-d’œuvre.

Selon un calcul de CNN fondé sur les données publiées par le ministère cambodgien de l’Économie et des Finances, plus de 37 % des exportations du pays sont destinées aux États-Unis, ce qui le rend particulièrement vulnérable aux droits de douane américains. Toujours selon une estimation de CNN, l’an dernier, les exportations de vêtements et de chaussures ont représenté plus de 43 % des exportations du Cambodge vers l’étranger.

Par conséquent, ce sont les très nombreux ouvriers de l’industrie de l’habillement — avec souvent un salaire mensuel minimum de 200 dollars — qui seront les plus durement touchés. En 2023, d’après les chiffres du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), environ un million de personnes travaillaient dans le secteur de l’habillement, du textile et de la chaussure. Près de 75 % de ces travailleurs sont des femmes.

Des chaussettes et des t-shirts…

Donald Trump justifie ses droits de douane globaux par la volonté de rapatrier les emplois sur le sol américain. Mais le Cambodge illustre précisément pourquoi cet objectif est irréaliste. « Le Cambodge exporte vers les États-Unis des chaussettes, des shorts, des jeans, des t-shirts, des chaussures de sport et des vêtements », explique Casey Barnett, président de CamEd Business School, une institution d’enseignement supérieur basée à Phnom Penh. « Il est tout simplement impossible de produire ce type de biens à forte intensité de main-d’œuvre et à faible qualification aux États-Unis. Cela n’aura donc strictement aucun effet sur un éventuel retour de la production manufacturière », insiste-t-il auprès de la chaîne d’informations américaine.

L’économie cambodgienne repose sur les exportations vers les États-Unis, et qui représentent à elles seules 27 % du produit intérieur brut national. Ce modèle a permis à des millions de Cambodgiens de sortir de la pauvreté, souligne Barnett. « Ce serait profondément tragique de voir tous ces acquis anéantis, de voir des centaines de milliers de jeunes femmes se retrouver subitement sans emploi, incapables de subvenir aux besoins de leurs familles, et basculer à nouveau dans la pauvreté », insiste-t-il.

Dans l’attente…
Pour l’heure, les investisseurs présents au Cambodge espèrent pouvoir résister à cette tempête tarifaire, misant sur de potentielles négociations entre Phnom Penh et Washington pour faire baisser les droits de douane, rapporte Kevin Chang, fondateur de Stronghold Trustee, une société fiduciaire basée à Phnom Penh, qui compte plus de 300 clients étrangers dans le pays.
À la suite de l’annonce des mesures tarifaires de Donald Trump, Chang confie avoir été submergé d’appels de ses clients. Néanmoins, il adopte une posture attentiste.
« Je ne pense pas que cela soit définitif », affirme-t-il. « Je crois qu’il y aura une solution, dans l’intérêt de tous. »

La Chine dans le viseur

Selon plusieurs experts, les droits de douane très élevés que Donald Trump veut imposer aux pays d’Asie du Sud et du Sud-Est reflètent une stratégie plus large : celle de cibler les exportateurs chinois qui ont délocalisé leur production à l’étranger.

Parmi les autres pays durement touchés figurent le Laos, avec un taux de 48 %, le Vietnam à 46 %, et le Myanmar à 44 %. À l’instar du Cambodge, le Laos et le Myanmar comptent parmi les pays les plus pauvres de la région. Le Vietnam, quant à lui, a un pôle de production textile qui a connu une croissance et une amélioration sensible du niveau de vie. Le pays a exporté l’an dernier près de 30 % de sa production totale vers les États-Unis, selon un calcul de CNN basé sur les données du gouvernement vietnamien.

Près de la moitié des investissements étrangers au Cambodge en 2023 provenaient de Chine, selon un communiqué de l’ambassade chinoise citant un rapport du gouvernement cambodgien. « La véritable cible de la politique de Trump, c’est la Chine », affirme Siwage Dharma Negara, chercheur principal à l’ISEAS-Yusof Ishak Institute de Singapour. Il s’agit, selon lui, d’un moyen pour les États-Unis de contrer la stratégie chinoise qui consiste à accéder au marché américain par l’intermédiaire de pays tiers.

Les autorités américaines en ont pleinement conscience, et Trump cherche, via ces droits de douane, à faire pression sur ces pays pour qu’ils freinent les investissements chinois. Mais en imposant des barrières tarifaires d’une telle ampleur à l’échelle mondiale, les États-Unis courent le risque de s’isoler commercialement, tandis que la Chine pourrait en ressortir renforcée dans son rôle de leader du commerce mondial.

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