Le rouble chute et les Moscovites se serrent la ceinture
“Nous devons nous priver”. Face à un rouble qui s’effondre, à l’inflation et aux sanctions, des Moscovites reconnaissent être inquiets pour leur niveau de vie, même si certains assurent être prêts à ces sacrifices, au nom de la puissance de la Russie.
Mercredi, il fallait 107 roubles pour avoir 1 euro et 97 pour un dollar. Un an plus tôt, le taux de change tournait aux alentours de 60 roubles, une évolution qui mine considérablement le portefeuille des Russes consommant des produits importés. En parallèle, l’inflation est repartie à la hausse depuis le début du printemps (3,25% en juin), forçant la Banque centrale russe (BCR) à augmenter son taux directeur à 8,5%, le moyen le plus évident pour lutter contre la hausse des prix.
A 63 ans, Igor Inkine a expérimenté dans sa vie les hauts et les bas de l’économie russe: les pénuries de l’époque soviétique, le chaos des années 1990, la crise de 1998 qui avait englouti l’épargne des Russes… Et aujourd’hui, “nous devons nous priver pour beaucoup de choses“, se désole l’ancien homme d’affaires désormais à la retraite, assurant devoir faire attention s’agissant des achats de pâtisseries, mais aussi en ce qui concerne les “petits plaisirs” du quotidien. Il juge la situation actuelle “très inquiétante, surtout pour nous, les retraités”.
Le président russe Vladimir Poutine martèle que l’économie a résisté aux sanctions occidentales adoptées en réponse à son assaut contre l’Ukraine. Pourtant un nombre croissant de Russes fait face à un coût de la vie croissant.
Des coûts qui grimpent
Avec des pensions moyennes de quelques centaines d’euros, les retraités sont les premiers affectés, eux qui travaillent déjà en nombre pour compléter leurs revenus. Et la conjoncture n’incite pas non plus à l’optimisme chez les jeunes.
Signe de ces craintes, les Russes se sont par exemple précipités pour retirer leur épargne lorsque le groupe Wagner a lancé sa mutinerie. Entre le 23 et le 25 juin, selon la BCR, ils ont retiré en liquide 1 milliard de roubles (près de 940 millions d’euros), soit environ cinq fois plus que la moyenne normale sur trois jours.
Dmitri Bobrov, un informaticien indépendant de 19 ans, constate lui la flambée des prix des composants informatiques dont il a besoin pour assembler des ordinateurs. “Avec la chute du rouble, les cartes graphiques, les processeurs… leur prix ont augmenté de manière significative”, déplore-t-il, citant les sanctions et l’offensive en Ukraine comme causes.
A la sortie d’une épicerie, Fiodor Tikhonov, 37 ans, monteur vidéo dans l’industrie du cinéma, s’agace aussi d’une vie toujours plus chère. “Auparavant, vous pouviez aller (au magasin) et acheter de quoi faire un repas pour 1.000 roubles. Maintenant cela coûte au moins 2.000 roubles”, soit 19 euros environ, dit ce père de famille. Il dit espérer que Moscou “négocie” pour aboutir à une levée des sanctions. “Cela ne peut pas durer éternellement”.
“Renflouer les caisses”
Si une nouvelle hausse du taux directeur de la BCR mi-septembre est possible, la conjoncture ne fait en tout cas pas paniquer les marchés russes à ce stade, selon les experts. “La baisse du rouble était en réalité assez attendue: elle reflète le commerce extérieur du pays” très affecté par les sanctions, analyse Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe à Moscou. Il dit toutefois “observer une situation atypique: le rouble s’affaiblit alors même que les prix du pétrole (dont la monnaie russe suit traditionnellement l’évolution, ndlr.) augmentent à nouveau”.
Sous l’effet des sanctions et face à la détermination des Européens de se défaire de leur dépendance énergétique envers la Russie, les revenus issus de la vente du gaz et du pétrole –principale source de rentrées budgétaires–, ont plongé de 41,4% entre janvier et juillet, selon les chiffres du ministère des Finances, faisant craindre un dépassement du déficit fédéral ciblé cette année à 2% du PIB. Dans ce contexte, la chute du rouble “permet aussi à l’Etat de renflouer ses caisses et financer l’effort de guerre”, rappelle M. Dubien, car pour chaque dollar ou euro acquis, le gouvernement disposera de plus de roubles pour couvrir ses dépenses.
En attendant, de nombreux Moscovites espèrent, comme les autorités, que le départ de nombreuses entreprises occidentales permettra aux sociétés russes de se développer et que l’économie pourra se reposer sur ses propres forces. “Pour être indépendant, pour ne pas dépendre d’autres pays”, argue Ksenia Souchkova, 18 ans, un sac arborant le logo d’une grande maison de couture italienne pourtant à l’épaule. “Les gens doivent économiser, rester patients, attendre que ça passe”, lâche la jeune fille, sur le point d’entrer à l’université.