Le plan de relance allemand pourrait doper la croissance belge de 0,6%


Sur papier seulement… Dans les faits, on ignore l’impact précis du plan de relance allemand qui pourrait mettre plus de temps que souhaité à se mettre en place, mais qui devrait néanmoins être massif et soutenir notre économie.
Ce sera une date à marquer dans les livres d’histoire : le 18 mars 2025, le Bundestag (le Parlement allemand) a adopté une réforme de la Constitution qui lève le frein à l’endettement et permet à l’Allemagne de lever massivement des emprunts pour développer ses infrastructures et sa défense.
On parle de sommes colossales. Le prochain gouvernement, encore en gestation, mais qui devrait être piloté par Friedrich Merz (CDU), pourra lever des centaines de milliards d’euros. Cet argent permettra de créer un fonds spécial qui devrait investir 500 milliards d’euros en 12 ans dans les infrastructures. Les autorités pourront aussi investir massivement dans la défense puisque le frein à l’endettement (Schuldenbremse) ne pourra pas être actionné pour les dépenses militaires qui dépasseraient 1% du PIB. Le “frein à l’endettement” est cette règle, inscrite dans la Constitution depuis 2009, qui veut que l’État fédéral allemand ne puisse pas avoir un déficit structurel supérieur à 0,35% de son PIB. Les länder (les régions) ne peuvent pas avoir de déficit structurel du tout.
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Deux volets
“Il y a deux aspects dans ce paquet, note Gilles Moëc, l’économiste en chef du groupe Axa. Le premier est accompagné d’une enveloppe financière précise : 500 milliards d’euros pour financer les infrastructures, l’éducation, la numérisation et l’énergie sur une décennie. Cela représente 11,6% du PIB actuel, soit environ 1% de dépenses supplémentaires par an en moyenne pendant 10 ans. C’est une somme conséquente. Le second aspect reste à quantifier : désormais, les dépenses de défense dépassant 1% du PIB seront exclues du calcul de la limite de déficit dans le mécanisme du ‘frein à l’endettement’. Cela ouvre la porte à un ajout significatif aux dépenses militaires existantes, mais ce que nous ne savons pas pour l’instant, c’est dans quelle mesure cette marge de manœuvre supplémentaire sera réellement utilisée.”
Tout dépend en effet de l’accord de coalition qui doit encore être conclu entre les sociaux-chrétiens de la CDU/CSU et les socialistes du SPD.
Ce volet défense pourrait cependant lui aussi représenter des centaines de milliards. Le budget régulier de l’armée allemande était ces dernières années d’une cinquantaine de milliards d’euros, soit un peu plus de 1% du PIB (le PIB allemand est d’environ 4.500 milliards). Mais ce budget régulier a été gonflé ces deux dernières années en allant puiser dans ce fonds exceptionnel de 100 milliards créé en 2022 pour moderniser la Bundeswehr ainsi qu’en comptabilisant les montants d’aide à l’Ukraine.
L’an dernier, l’Allemagne a pu dépenser environ 90 milliards pour son armée, ce qui correspond à l’objectif de 2% du PIB de l’Otan. Si Berlin décide de fixer ses dépenses de sécurité à 3% du PIB, un seuil qui pourrait être le nouveau consensus de l’Otan, voire 3,5%, ce qui est le souhait du ministre de la Défense allemand Boris Pistorius, cela représente un budget d’environ 130 à 150 milliards par an, et donc une augmentation, toute chose restant égale, de 1% du PIB, voire plus.
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Résumons : 500 milliards sur 12 ans pour les infrastructures, et potentiellement 500 milliards sur 10 ans pour la défense : le bazooka budgétaire allemand aurait une puissance de feu d’environ 1.000 milliards d’euros. “L’effort représente deux fois celui du plan Marshall et deux fois l’effort réalisé lors de la réunification de l’Allemagne. C’est gigantesque”, commente l’économiste en chef de BNP Paribas Fortis, Koen De Leus.
Une croissance supplémentaire de 2% ?
“Mais la question clé, souligne Gilles Moëc, est bien sûr l’ampleur des effets multiplicateurs que ces dépenses supplémentaires auront sur le PIB, tant en Allemagne qu’en Europe.”
L’effet multiplicateur ? C’est savoir combien un euro d’investissement public va apporter en croissance supplémentaire du PIB. “Et cet effet multiplicateur peut varier énormément, de 0,5 à 3”, avertit Koen De Leus.
“Pour déterminer le multiplicateur des investissements dans les infrastructures, il y a beaucoup de paramètres, poursuit l’économiste de BNP Paribas Fortis. Le premier est que l’Allemagne, pendant des années, a souffert de sous-investissements dans ce domaine. Il y a donc beaucoup de projets qui peuvent être entrepris, et cela ne va pas être un problème de dépenser cet argent d’une façon intelligente. Voilà déjà un élément qui augmente le multiplicateur.
Ensuite, lorsque l’on investit, cela peut en théorie augmenter l’inflation, ce qui pourrait susciter une réaction de la BCE qui augmenterait ses taux d’intérêt pour combattre cette inflation. Toutefois, le marché estime que la BCE va continuer à réduire ses taux directeurs, jusqu’à 2%, et ces taux resteront probablement stables l’an prochain. Et un troisième point concerne l’endettement. Investir des centaines de milliards d’euros ferait gonfler la dette, avec à nouveau un impact sur les taux d’intérêt, qui pourraient augmenter, freinant la croissance économique. Mais l’Allemagne a une dette qui ne pèse que 60% de son PIB. Les taux d’intérêt ont augmenté un petit peu, mais ils ne devraient pas augmenter davantage. Il ne semble donc pas y avoir de problème non plus.”
Une estimation de coin de table
En prenant tous ces éléments en considération, “nous pouvons estimer, mais ce n’est pour l’instant qu’une estimation de coin de table, que le multiplicateur se situerait entre 1 et 2”. Autrement dit, si l’on ne considère que le volet infrastructure, ces investissements additionnels de 500 milliards pourraient donc générer une croissance additionnelle de 1,5% pour l’économie allemande.
Mais à cela s’ajoutent les investissements dans la défense. “Ici, le multiplicateur ne devrait pas être aussi élevé, dit Koen De Leus : il faudra dépenser des montants importants, mais on ne trouvera parfois que du matériel étranger, souvent américain. Le multiplicateur sera plus bas et – en tablant sur des dépenses de 500 milliards sur 10 ans – cela pourrait se traduire par une croissance additionnelle de 0,5 ou 0,7 point de pourcentage.”
En combinant les deux volets, l’Allemagne pourrait bénéficier d’un surcroît de croissance de plus de 2%.

Un risque d’inflation
Cela, c’est sur papier. Sur le terrain, les choses risquent d’être un peu plus compliquées, avertit Peter Vanden Houte, l’économiste en chef d’ING Belgique. “Mettre tout cela en marche prendra du temps, dit-il. Pour cette année, il n’y aura probablement pas grand-chose en termes de stimulation sur le volet infrastructure. Peut-être un peu plus du côté militaire, mais c’est aussi très difficile.”
L’économiste d’ING rappelle que sur le fonds de 100 milliards mis sur pied après l’invasion russe de l’Ukraine pour moderniser l’armée allemande, seuls 24 milliards ont été dépensés jusqu’à présent. “Cela veut dire que cela va lentement. C’est d’ailleurs le risque de toutes ces stimulations, et cela vaut aussi pour les infrastructures : il faut avoir les autorisations administratives, les permis, etc. Et tout cela peut prendre du temps. C’est la raison pour laquelle nous estimons que la stimulation n’aura probablement pas d’effet avant la seconde moitié de 2026.”
Des promesses politiques
Et puis, il y a les aléas des promesses politiques. “Un autre facteur, qui pourrait déjà avoir un impact à plus court terme, est que la CDU et le SPD, dans leur plateforme électorale, avaient promis pas mal de choses aux électeurs : des baisses d’impôts, un salaire minimum plus élevé, etc. Il n’y a rien de prévu à l’heure actuelle dans le budget, mais un certain nombre d’observateurs allemands pensent que le gouvernement pourrait financer toutes les dépenses d’infrastructure via ce nouveau fonds, et transférer les budgets d’infrastructure déjà accordés vers les baisses d’impôt. Il y aurait des transferts entre les postes budgétaires qui permettraient donc de dépenser déjà quelque chose, non pour les infrastructures, mais en baisses d’impôts, déjà dans le courant de cette année. Et cela pourrait donc avoir un impact.”
Enfin, un dernier impact concerne les taux. Peter Vanden Houte fait partie de ceux qui estiment que le bazooka allemand aura un effet sur les taux à long terme. “Les marchés obligataires ont déjà réagi, dit-il, et le taux allemand à long terme a augmenté (il est passé à 2,8%, contre 2,5% fin janvier, ndlr). Cela pourrait freiner un peu la croissance, si l’on regarde par exemple l’impact des taux sur le marché immobilier et la construction résidentielle.”
Si les taux montent, c’est surtout parce que l’on s’interroge sur la capacité de l’économie allemande à accepter cette injection massive sans souffrir de fièvre inflationniste. “La capacité de croissance en Allemagne, mais aussi dans les autres pays européens, est plus faible qu’avant, souligne Peter Vanden Houte. L’Allemagne est depuis presque deux ans en récession, mais le taux de chômage se trouve toujours proche d’un niveau historiquement bas. On observe la même chose dans la zone euro. Le risque est donc que cette très forte stimulation aboutisse à un peu plus de croissance, mais surtout beaucoup plus d’inflation. C’est à mon avis la raison, aussi, pour laquelle on observe déjà, au niveau de la BCE, un questionnement sur la nécessité d’abaisser encore beaucoup les taux courts en Europe.”

Cela prendra deux ans
Si l’on prend tous ces éléments en considération, les effets du plan devraient donc être étendus dans le temps et ne devraient se déployer que d’ici un à deux ans. La Bundesbank – la Banque centrale allemande – tablait pour 2025 sur une croissance de base de 0,2%. Le plan de relance pourrait y ajouter 0,3 à 0,5 point, soit une croissance totale de 0,5 à 0,7%.
En 2026, les effets devraient s’amplifier avec la montée en puissance des investissements. L’institut DIW estime que le plan pourrait augmenter le PIB de 1% par rapport à un scénario sans intervention. L’Allemagne afficherait donc une croissance de 2%, contre 1% environ sans plan de relance. Et pour 2027, les bénéfices structurels qui résulteraient d’infrastructures modernisées et de compétitivité accrue devraient se matérialiser. Les prévisionnistes tablent sur un effet dopant du plan sur le PIB de 1,5 à 2%, qui viendrait s’ajouter à une croissance de base comprise entre 1,3 à 1,5%. Ensuite, l’impact sur la croissance devrait s’amenuiser, car le plan ne va pas apporter une croissance supplémentaire de 2% chaque année.

“L’effort n’augmentera pas pendant 10 ans, et donc la croissance n’augmentera pas non plus, souligne Koen De Leus. Mais l’impact du plan est néanmoins substantiel. On sait qu’une accélération de la croissance en Allemagne de 1% engendre un effet de 0,2 à 0,3 point de pourcentage de croissance pour l’Europe.” Un coup de boost de 2% pour l’Allemagne, c’est un coup de pouce de 0,5% environ pour l’Europe.
“Donald Trump, en précipitant ce plan allemand, ne supporte pas MAGA (Make America Great Again), mais MEGA (Make Europe Great Again).” – Koen De Leus (BNP Paribas Fortis)
Et la Belgique dans tout cela ?
Ce coup de pouce à l’économie européenne, la Belgique est bien positionnée pour en profiter. “L’exposition belge sur l’Allemagne comporte plusieurs aspects, mais si l’on considère uniquement l’impact sur les exportations, il est déjà très important”, observe Peter Vanden Houte.
Pour la Belgique, environ la moitié des exportations qui prennent le chemin de l’Allemagne contiennent de la valeur ajoutée belge. Mais il y a aussi des exportations belges qui vont vers la France, les Pays-Bas ou d’autres pays et qui aboutissent finalement en Allemagne. Une entreprise belge peut exporter en Slovénie un élément d’une voiture qui va être exportée à son tour en Allemagne. La Belgique, indirectement, va donc aussi par ce biais profiter de cette demande accrue en Allemagne. “Ces exportations, directes et indirectes, vers l’Allemagne représentent 5% du PIB belge”, ajoute l’économiste d’ING.
“Par le passé, on avait calculé en effet qu’une diminution de 1% du PIB allemand se traduisait par 0,3% de baisse en Belgique”, rappelle Koen De Leus. À l’inverse, si l’Allemagne devait connaître un bond supplémentaire de 2%, notre croissance en profiterait donc à hauteur de 0,6%. Malgré les incertitudes et les risques d’inflation, le plan budgétaire allemand devrait donc apporter un grand bol d’oxygène à nos économies. “Il est clair pour moi que Donald Trump, en précipitant ce plan allemand, ne supporte pas MAGA (Make America Great Again), mais MEGA (Make Europe Great Again)”, conclut Koen De Leus.
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