Eddy Caekelberghs
Le Japon n’est plus un archipel isolé
C’est le retour du vieux dicton “si vis pacem, para bellum” ou “si tu veux la paix, prépare la guerre”. Chez nous, en Europe, c’est une évidence. Songeons aux pays nordiques qui réarment et rejoignent l’Otan. Ou à l’Allemagne qui a viré sa ministre de la Défense (peu taillée pour le job) pour un homme capable de faire évoluer une armée peu préparée par des décennies de “neutralité germanique”. Mais c’est aussi – surtout? – le Japon qui donne une image sensible de la nouvelle situation géopolitique internationale!
Pendant des années, Tokyo a limité ses dépenses militaires à maximum 1% de son produit intérieur brut. Ce n’est plus le cas. Pour la première fois depuis 1976, le Japon dépassera non seulement cette limite mais le Premier ministre Fumio Kishida a adopté vis-à-vis d’une Corée du Nord de plus en plus agressive une attitude de très grande fermeté et, comme réponse aux provocations de Pyongyang, a apporté des modifications très nettes à la politique de défense de son pays.
Le Japon ne craint pas que la Corée du Nord et son autocrate fou, Tokyo mesure aussi le risque chinois. Une Chine qui menace de plus en plus de faire sauter le verrou de Taiwan, garantie du Japon en mer de Chine. Une Chine d’autant plus menaçante que la situation intérieure est plus que tendue: les conséquences économiques, sociales mais surtout politiques de son approche zéro covid tendent le débat. Et la levée récente de cette approche rigoriste ne calme pas la rue. C’est le moment risqué d’une aventure extérieure possible pour détourner les regards et ressouder le pouvoir. Tokyo le mesure bien.
Tokyo est en droit de se demander si le bouclier américain existe vraiment. La Maison-Blanche prendra-t-elle le risque de froisser le maître de Pékin?
Le Japon a une Constitution qualifiée de “pacifiste” depuis 1946. Et si la décision d’augmenter les capacités de défense n’en remet pas en cause les fondements, c’est un travail mené depuis plusieurs années, notamment sous le cabinet de Shinzo Abe, qui se traduit par une évolution très nette de la politique de défense.
Le politologue Barthélémy Courmont commente: “Les poussées progressives des conservateurs aggravent les tensions dans la région. Et en comparant avec la situation il y a 10 ou 15 ans, nous pouvons considérer que le Japon a une politique de défense plus décomplexée. Mais tout cela s’inscrit dans la durée, et les annonces de Kishida ne sont qu’une étape supplémentaire, certes importante, vers une ‘normalisation’ du Japon, qui se plaît pourtant depuis les années 1950 à se qualifier de puissance anormale”.
Et, à cet égard, on peut négliger le sentiment de plus en plus prégnant au Japon d’un risque de désinvestissement américain en cas de conflit régional. Tokyo est en droit de se demander si le bouclier américain existe vraiment. La Maison- Blanche prendra-t-elle le risque de froisser le maître de Pékin? Que signifie et annonce le retrait des troupes américaines d’Afghanistan et la gestion “à distance” du conflit en Ukraine? Et Courmont de conclure: “Le Japon a une perception négative de certains de ses voisins, et se demande s’il peut faire confiance à son allié. Ce sentiment n’est pas nouveau mais il s’est progressivement amplifié”.
Certes, constitutionnellement, le Japon s’est engagé à proscrire la guerre à tout jamais de son arsenal politique. Mais le pays peut-il pour autant ne pas la préparer pour mieux garantir sa paix? Le délitement même de “communauté internationale” que nous vivons éclaire l’enjeu: le Japon ne veut pas être une île isolée que l’on oublierait au premier son du canon. Il n’est plus un archipel isolé et entend le rappeler à ses alliés!
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