“L’Allemagne ressemble de plus en plus à la Belgique, et cela se répercute sur toute l’Europe”

Le chancelier Olaf Scholz
Sebastien Marien Stagiair Data News 

L’économie allemande s’est contractée au printemps, inversant la croissance observée au début de l’année. Selon Carsten Brzeskic, spécialiste de l’Allemagne, les problèmes économiques sont plus profonds et l’optimisme des analystes au début de l’année n’était pas fondé. La faiblesse des secteurs manufacturier et immobilier, combinée à la méfiance des consommateurs, provoque une spirale négative dans laquelle l’Allemagne entraîne le reste de l’Europe.

L’économie allemande, la plus importante d’Europe, s’est contractée de 0,1% au deuxième trimestre par rapport aux trois premiers mois de l’année. Ces chiffres confirment les estimations antérieures. Les entreprises ont nettement moins investi, les consommateurs ont moins dépensé et les exportations de biens et de services n’ont guère apporté de soulagement. Tout indique que l’économie allemande stagnera, voire se contractera, cette année. Au cours des trois premiers mois de l’année, le produit intérieur brut (PIB) a encore augmenté de 0,2%, mais le recul enregistré au deuxième trimestre et les perspectives négatives pour la seconde moitié de l’année indiquent que les choses évoluent dans la mauvaise direction.

“Au premier trimestre de cette année, l’Allemagne a encore enregistré des résultats étonnamment bons dans le secteur de l’immobilier. Cela s’explique en grande partie par la douceur de l’hiver. Mais nous voyons maintenant le contrecoup et les chiffres sont à nouveau négatifs pour l’immobilier”, déclare Carsten Brzeski, responsable mondial de la macroéconomie chez ING. “Nous avons clairement vu venir les mauvaises nouvelles concernant l’économie allemande en nous basant sur les chiffres mensuels. Les chiffres de mai étaient vraiment problématiques et la conclusion est donc que l’Allemagne reste l’homme malade de l’Europe.”

La faiblesse de l’économie allemande en perspective

-Contraction du PIB de l’Allemagne au 2e trimestre 2024 : -0,1%
-Croissance du PIB de l’UE au 2e trimestre 2024 : +0,3%
-Croissance du PIB de l’Espagne au T2 2024 : +0,8%
-Croissance du PIB de la France au T2 2024 : +0,3%
-Croissance du PIB de la Belgique au T2 2024 : +0,2%
-Croissance du PIB des États-Unis au T2 2024 : +2,8%

Dépenses de consommation et investissement :

-Baisse de la consommation des ménages au T2 2024 : -0,2%
-Augmentation des dépenses des administrations publiques au T2 2024 : +1,0%
-Baisse de l’investissement en machines et équipements (annualisé) : -4,1%
-Baisse des investissements en construction au T2 2024 : -2,0%
-Baisse des exportations au 2ème trimestre 2024 : -0,2%.

Chômage :

-Augmentation du nombre de chômeurs inscrits (en glissement annuel) : +200.000
-Augmentation de l’emploi au T2 (en glissement annuel) : +0,4%
-Augmentation des salaires bruts moyens par employé (annualisés) : +5,1%

Si l’on compare la situation actuelle de l’Allemagne à celle d’autres économies comme la France ou les Pays-Bas, où se situe le cœur du problème ? Pourquoi la croissance ne veut-elle pas décoller ?

Carsten Brzeski : “Les chiffres positifs alternent avec les résultats négatifs à chaque fois, ce qui fait que l’Allemagne se trouve dans une période de stagnation depuis quatre ans maintenant. La maladie de l’Allemagne a de nombreux symptômes. Tout d’abord, l’Allemagne est fortement dépendante de son industrie et de ses exportations, elle est donc touchée de plein fouet par les problèmes économiques, l’incertitude géopolitique et les conflits commerciaux à l’échelle mondiale.

Ensuite, il y a les problèmes que l’Allemagne crée elle-même. La forte dépendance du pays à l’égard de l’énergie russe, par exemple, est un problème structurel et il faudra du temps pour le résoudre. De plus, le gouvernement allemand continue de tergiverser sur sa réforme énergétique. En conséquence, cette incertitude entraîne une stagnation des investissements en Allemagne. Les investissements ont chuté de plus de 2% au deuxième trimestre, car la politique énergétique n’est pas le seul dossier qui reste en suspens au sein du gouvernement Scholz. Cela incite les entreprises et les consommateurs à redoubler de prudence.”

Quelles sont les perspectives pour les Allemands ordinaires ?

“Les consommateurs allemands sont par nature extrêmement prudents et frugaux, plus que dans les autres pays européens. Les Allemands ne sont pas protégés par une indexation automatique des salaires comme les Belges, et l’inflation a considérablement réduit leur pouvoir d’achat ces dernières années. Cette situation devient d’autant plus problématique qu’elle s’ajoute au nombre élevé de faillites. Les Allemands ont peur de perdre leur emploi et cela freine la consommation.

La confiance des consommateurs est faible et continue de baisser. Cependant, une hausse de la consommation serait justement le facteur qui pourrait encore pousser l’économie allemande vers la croissance en 2024. Les Allemands viennent de bénéficier de la plus forte augmentation des salaires nets depuis plus de dix ans. On peut donc espérer que la consommation assurera la reprise au cours des prochains trimestres. Une légère amélioration des commandes des entreprises pourrait suffire à faire la différence.”

Mais cela contribue-t-il à la croissance à long terme de l’Allemagne ? Les perspectives restent-elles plutôt faibles ?

“En effet, nous prévoyons une croissance de 0% cette année et de 0,5% l’année prochaine. Si l’Allemagne veut vraiment sortir de la spirale négative, elle doit oser se remettre en question. Les élections de septembre 2025 offriront de nouvelles possibilités de réaliser les réformes économiques nécessaires. La coalition actuelle du Premier ministre Scholz devrait être sanctionnée à ce moment-là, car il y a beaucoup de mécontentement, des querelles internes et la popularité du chancelier est particulièrement faible. Outre l’absence de réformes, l’état des entreprises publiques s’est également détérioré. Prenons l’exemple des chemins de fer, la Deutsche Bahn, où les projets de construction ont connu d’énormes problèmes et où de nombreux licenciements ont eu lieu.

En bref, l’époque de la perfection allemande et de son rôle de leader est révolue. Nous devons nous habituer à l’imperfection allemande, car les racines des problèmes de l’Allemagne sont plus profondes qu’on ne le pensait. À bien des égards, l’Allemagne ressemble de plus en plus à la Belgique, ce qui se répercute sur l’ensemble de l’Europe, car elle est, après tout, la plus grande économie de notre continent. Elle est également un partenaire commercial important pour de nombreux pays européens. Au cours des dernières décennies, de nombreux États membres de l’Union européenne ont pu profiter de la croissance économique allemande, mais ils sont aujourd’hui emportés par les eaux turbulentes que traverse l’économie allemande. L’année prochaine montrera si la stagnation est vraiment durable.”

Mais contrairement à la Belgique, l’Allemagne est aussi fortement tributaire des performances de l’industrie automobile. La nouvelle politique relative aux droits d’importation sur les voitures chinoises pourrait-elle renforcer la compétitivité ?

“L’Europe se concentre actuellement sur les droits d’importation imposés aux constructeurs chinois, mais la réalité est que les importations de voitures chinoises sont encore relativement limitées. Cela détourne l’attention du vrai problème, à savoir que les marques allemandes doivent encore rattraper leur retard pour produire des voitures électriques compétitives. C’est un travail de longue haleine. Les taxes à l’importation, en revanche, n’aideront l’industrie européenne qu’à long terme. Et même dans ce cas, la question reste de savoir dans quelle mesure, car la Chine va également répondre à cette taxe, alors que de nombreuses entreprises automobiles allemandes comptent encore sur leurs ventes dans ce pays.”

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