La souveraineté de l’OTAN passe désormais par la Silicon Valley

Otan Euro
Illustration © Getty Images
Vincent Genot
Vincent Genot Coordinateur online news

En s’appuyant sur Google pour son cloud “souverain”, l’OTAN modernise son infrastructure tout en approfondissant sa dépendance aux États-Unis.

L’OTAN et Google Cloud ont officialisé la signature d’un contrat de plusieurs millions de dollars pour moderniser l’infrastructure numérique de l’Alliance. Le projet repose sur une technologie présentée comme « souveraine » et extrêmement sécurisée, destinée à traiter des données sensibles et à intégrer de l’intelligence artificielle dans les opérations du Joint Analysis, Training and Education Centre (JATEC). Dans leur communication conjointe, l’OTAN insiste sur la maîtrise des données et Google sur la capacité à faire fonctionner ses outils dans des environnements totalement isolés.

L’ensemble se veut rassurant, avec un cloud déconnecté, une autonomie opérationnelle, un contrôle total sur les informations. Mais derrière ces éléments de langage, un paradoxe apparaît rapidement. Cette souveraineté repose entièrement sur une technologie américaine. Le matériel, les outils et les protocoles viennent d’une entreprise basée en Californie, acteur central de l’écosystème numérique mondial. Autrement dit, l’OTAN affirme reprendre la main sur ses données tout en renforçant la place d’un fournisseur externe, avec lequel l’Europe entretient déjà une relation de dépendance technologique très profonde. Ce paradoxe n’est pas nouveau, mais il prend ici une dimension particulière. L’enjeu touche au cœur de la défense collective, dans un contexte où l’intelligence artificielle n’est plus un simple outil mais un élément stratégique de première ligne.

« Servir davantage les intérêts des États-Unis »

Ce contrat arrive aussi à un moment politique où les tensions autour de l’OTAN ressurgissent. Donald Trump, redevenu une figure centrale du débat américain, répète depuis des années que l’Alliance doit « servir davantage les intérêts des États-Unis ». Sa position est constante, les pays européens doivent augmenter leurs dépenses militaires et, dans les faits, se tourner vers l’industrie américaine pour assurer leur modernisation. Dans cette vision très transactionnelle, l’OTAN est à la fois un outil diplomatique et un marché, un espace où les États-Unis entendent peser, économiquement autant que militairement.

Le partenariat avec Google s’inscrit parfaitement dans cette logique. A mesure que l’Europe investit dans sa défense, les marchés les plus stratégiques (le cloud, la cybersécurité, l’IA) sont largement captés par les entreprises américaines. Microsoft et AWS dominent déjà le secteur. Google signe ici une entrée retentissante dans un domaine qui lui était jusqu’ici moins accessible, les environnements classifiés et les systèmes critiques de l’Alliance. L’industrie européenne, elle, reste en retrait. Malgré les projets de cloud souverain, malgré les discours politiques, elle ne dispose pas encore de solutions capables de rivaliser avec les hyperscalers (datacenters à grande échelle) des géants de la tech US sur des technologies aussi complexes, en particulier lorsqu’il s’agit d’intelligence artificielle à très grande échelle.

L’argument de la performance joue évidemment en faveur des sociétés américaines. L’OTAN cherche des outils rapides à déployer, éprouvés, capables de soutenir des charges lourdes et de fonctionner dans des environnements sensibles. Mais cette efficacité technique se paie en ancrant encore davantage la défense européenne dans une architecture qu’elle ne contrôle pas totalement. Le cloud peut être “isolé”, les données peuvent être “résidentes”, mais la dépendance technologique, elle, reste entière.

Au final, ce partenariat dit beaucoup du rapport de forces actuel. L’OTAN se modernise, l’IA s’impose comme un levier stratégique, et les budgets militaires augmentent. Mais les acteurs qui bénéficient réellement de cette transformation sont, une fois encore, américains. Et dans un contexte où Donald Trump pousse l’Alliance à devenir plus profitable pour les États-Unis, cette annonce trouve une résonance particulière, l’Europe paie davantage, mais c’est l’industrie américaine qui consolide sa position au cœur même de l’infrastructure militaire occidentale.

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