La Pologne s’est hissée parmi les grandes économies d’Europe: comment expliquer le “miracle polonais”?

St Mary's Basilica, (Bazylika Mariacka) Church
Photograph taken at sunrise through the arches of the Cloth Hall, Krakow, Poland.
© Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Ces deux dernières décennies, la Pologne a connu une croissance supérieure à pratiquement tous les autres pays européens. Quelles leçons tirer de ce “miracle polonais” ?

Certains parlent d’un véritable miracle économique. Tous sont impressionnés par la croissance extraordinaire enregistrée par la Pologne qui, sur une génération, est devenue un des “grands” d’Europe et fait désormais jeu égal avec le Japon en termes économiques.

“Je suis le Polonais le plus chanceux de tous les temps. Je fais partie de la génération la plus riche, la plus sûre et la plus heureuse de l’histoire de la Pologne”, se réjouit Marcin Piatkowski, senior economist à la Banque mondiale et auteur d’un ouvrage sur ce miracle économique, publié en 2019 chez Oxford University Press.

La performance économique est en effet stupéfiante. “En 1989, lorsque la Pologne est devenue une démocratie et a été le fer de lance de la chute du mur de Berlin, le revenu moyen d‘un Polonais représentait moins d’un quart du revenu moyen d’un Allemand (et encore moins en termes nominaux). Le pays était en faillite, non compétitif et ravagé par l’hyperinflation. Personne n‘aurait parié sur la Pologne à l‘époque”, souligne Marcin Piatkowski.

Aujourd’hui, en parité de pouvoir d’achat, le PIB par habitant de la Pologne a rejoint celui du Japon. Passé par le filtre correcteur de la parité de pouvoir d’achat, la richesse par habitant est de 50.000 dollars tant à Varsovie qu’à Tokyo ! Attention, sans cette correction, l’écart reste important. Le PIB par habitant en Belgique, qui est d’un peu plus de 40.000 euros, reste infiniment plus élevé que celui de la Pologne (18.000 euros environ). Mais ce qui compte, finalement, c’est le niveau de vie, et de ce point de vue, les Polonais ont effectué un immense bond en avant.

Depuis son adhésion à l’Union européenne, la Pologne a doublé la taille de son PIB, qui a atteint 751 milliards d’euros en 2023, devenant ainsi la sixième économie européenne, juste derrière les Pays-Bas et devant la Belgique. Alors, comment expliquer ce développement et qu’avons-nous à en apprendre ?

L’héritage communiste

Jeune cadre commercial chez Sainsbury, ancien étudiant de l’université de Lancaster, Jakub Kowalczyk explique quelles ont été les bases qui ont rendu ce miracle possible. Et paradoxalement, un premier élément est d’avoir été un pays communiste. “Même si cela semble contre-intuitif, le régime communiste a jeté les bases de la croissance économique. Il ne fait aucun doute que l‘économie planifiée était inefficace et gaspilleuse, mais le secret réside dans les changements introduits par les communistes dans la société polonaise. Pour la première fois dans l’histoire de la Pologne, chacun avait la possibilité de bâtir sa propre fortune à la chute du régime”, observe-t-il dans une revue éditée par des anciens de l’université de Lancaster.

Le terrain a été préparé de diverses manières, mais deux éléments ont été cruciaux. Le premier est la formation. Au moment de l’effondrement du mur, “pour la première fois dans l’histoire de la Pologne, il y avait une égalité des chances. Le système éducatif était égalitaire et offrait une bonne éducation à tous, augmentant ainsi le capital humain de l’économie polonaise. En fait, même après l‘effondrement du régime, le système éducatif n’a pas beaucoup changé”, explique Jakub Kowalczyk. Dans les enquêtes PISA, les élèves polonais sont en effet assez largement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE.

Depuis son adhésion à l’Union européenne, la Pologne a doublé la taille de son PIB, devenant ainsi la sixième économie européenne.

Une thérapie de choc

Le second élément qui a préparé le pays au choc de l’économie de marché est l’adoption, en 1988, soit avant la chute du mur, d’un paquet de mesures prises par celui qui était alors ministre de l’Economie du pays, Mieczyslaw Wilczek.

En une cinquantaine d’articles, cette nouvelle loi instaurait une liberté totale d’ouvrir un business dans le pays, abolissant la lourde administration soviétique qui avait pesé sur le pays pendant un demi-siècle. En deux ans, deux millions d’entreprises furent créées. Aujourd’hui, face à une législation qui s’est alourdie, les patrons polonais regrettent cette époque. “La loi Wilczek a été l‘âge d’or du capitalisme polonais, il n’a jamais été aussi facile d’ouvrir une entreprise”, soulignait, dans The Economist, Andrzej Blikle, fondateur d’une chaîne de boulangeries.

Mais l’entrée du pays dans le bloc capitaliste ne fut pas une partie de plaisir : hyperinflation, crise financière, récession… les premiers pas dans l’économie de marché ont été pénibles. A la chute du mur de Berlin, Leszek Balcerowicz, alors ministre des Finances et vice-premier ministre, entreprend une thérapie de choc, mettant en œuvre avec rapidité de profonds changements, détricotant tout l’appareil social soviétique.

“Presque du jour au lendemain, l’économie communiste fortement réglementée est devenue une économie capitaliste de marché”, rappelle Jakub Kowalczyk qui ajoute qu’aujourd’hui encore, les avis sont partagés sur le succès de ce plan Balcerowicz, qui a insufflé un esprit d’entrepreneur dans la population mais qui a aussi fait très mal à une grande partie de la population.

Le moteur européen

Le second moteur de croissance de la Pologne, c’est son accession, en 2004, à l’Union européenne. “Le miracle politique et économique polonais n‘aurait pas eu lieu sans l’Union européenne”, souligne Marcin Piatkowski.
En 20 ans, en effet, le PIB polonais qui pesait 48% de la moyenne européenne, a atteint le niveau du Portugal (à environ 80% de la moyenne de l’union), le chômage est passé de 20 à 3%, et le flux migratoire s’est inversé : il y a depuis six ans davantage de Polonais désireux de rentrer dans leur pays que de le quitter.

Comme elle l’avait fait pour la fin de l’ère soviétique, la Pologne a préparé son accession à l’UE. “Au cours du processus d’adhésion, la Pologne a importé plus de 50.000 nouvelles lois et réglementations, s’inspirant des institutions que l’Europe occidentale avait mis plus de 500 ans à construire et qui ont fait de l’Europe ce qu’elle est aujourd‘hui”, observe Marcin Piatkowski.

Mais évidemment, autant que le cadre institutionnel, c’est l’argent des fonds de convergence européens qui a été un des grands “boosters” de l’économie. C’est d’ailleurs vrai pour l’ensemble des 12 pays, essentiellement de l’ancienne Europe de l’Est, qui ont intégré l’Union européenne en 2004. “En termes réels, les revenus des 5 % des citoyens les plus pauvres de ces 12 pays ont augmenté de 256 % au total entre 2004 et 2023, souligne Zsolt Darvas, membre de l’institut de recherche Bruegel. En d‘autres termes, si le revenu était de 100 euros en 2004, il est passé, en termes réels, à 356 euros en 2023. Cela correspond à une augmentation annuelle moyenne du revenu réel de 6,8 %, bien supérieure à la croissance annuelle moyenne de l‘UE, qui n’est que de 0,7 %.”

“Selon diverses estimations, les fonds de l‘UE ont contribué à hauteur d’environ 0,5 point de pourcentage à la croissance annuelle du PIB de la Pologne après 2004. Mais ces estimations ne prennent souvent pas en compte les nombreuses retombées positives des fonds de l’UE sur l‘économie et la société”, ajoute Marcin Piatkowski.

La politique de convergence européenne n’a pas toujours été idéale, mais elle a permis de créer une vraie classe moyenne. Les Polonais ne s’y trompent pas. Même si une majorité a voté pendant huit ans pour un parti conservateur et nationaliste, c’est le pays où le taux d’adhésion (80%) à l’Union européenne est le plus important.

Des zones économiques prisées

Parallèlement, les fonds européens ont permis de moderniser le pays, et d’attirer les investisseurs étrangers. Le stock d’IDE (investissement direct étranger) atteint 270 milliards d’euros aujourd’hui.

Des investissements attirés par plusieurs atouts : la position stratégique du pays, sa population importante qui constitue donc un marché intérieur de taille, sa place dans l‘Union européenne, la qualité de sa main-d’œuvre, son faible coût (le salaire minimum polonais est juste en dessous de 1.000 euros mensuels, soit le niveau portugais) et certains atouts fiscaux. La Pologne dispose de zones économiques spéciales particulièrement attrayantes. Selon un classement du Financial Times réalisé l’an dernier, la “Zone économique spéciale” de Katowice est classée la zone la plus attractive d’Europe pour la septième fois et la zone de Lodz est considérée comme la dixième meilleure zone franche au monde.

On pourrait s’arrêter à ce paysage idyllique, mais il ne serait pas complet. En effet, si la Pologne a réussi brillamment son développement économique au cours des deux dernières décennies, elle est aujourd’hui confrontée à d’importants défis, hérités en partie des huit années de pouvoir du gouvernement nationaliste.

Si la Pologne a réussi brillamment son développement économique au cours des deux dernières décennies, elle est aujourd’hui confrontée à d’importants défis.

Des défis économiques

L’économie polonaise est sans doute la moins décarbonée d’Europe. Au moment d’écrire ces lignes, la production d’électricité dans le pays rejetait 745 g de CO2 par KWh produit. A titre comparatif, nous sommes à 122 g en Belgique.

L’économiste Marek Dabrowski, adjoint au ministre des Finances en 1989-90 et membre de Bruegel, ajoute que les défis les plus importants que doit relever le nouveau gouvernement sorti des urnes en novembre de l’an dernier et chapeauté par l’ancien président du Conseil de l’Europe, Donald Tusk, sont économiques. On ne parle pas seulement du mécontentement des fermiers polonais face à la concurrence des produits ukrainiens soutenus par l’Europe.

“Huit ans de populisme socio-économique, avec des programmes de dépenses à grande échelle, des changements chaotiques du système fiscal et un gel des tarifs énergétiques, ont conduit à une explosion du déficit public, prévu à 5,8 % du PIB en 2023”. Parallèlement, le laxisme de la politique monétaire a fait bondir l’inflation, qui a dépassé les 17% en mars 2023. Elle était retombée à 2% en février de cette année, mais elle ne s’est pas stabilisée et culminait à nouveau à 4,3% en août. La croissance économique a également marqué un fameux coup d’arrêt, passant de 5,3% en 2022 à 0,2% seulement en 2023. Les estimations tablent sur un redémarrage, avec 2,8% cette année et 3,4% en 2025, mais cette dynamique est très dépendante de l’état de santé du grand voisin allemand, principal partenaire commercial, et notamment de l’état de santé de l’industrie automobile allemande.

Mais ces défis ne doivent pas faire oublier le chemin parcouru par le pays en une seule génération, ni les leçons que nous pouvons en tirer : formation au top, atouts fiscaux, qualité des infrastructures sociales et matérielles, bon usage des fonds européens et courage d’entreprendre des réformes de fonds. Un message pour notre prochain gouvernement ?

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