La manœuvre retorse de Trump pour destituer Jerome Powell, le patron de la Fed

Le président de la Fed, Jerome Powell. © REUTERS/Kevin Lamarque
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le Président américain a démenti la rumeur selon laquelle il allait destituer Jerome Powell « à moins d’une fraude ». Ce dernier détail a toute son importance. Explications.

Ce mercredi 16 juillet, les marchés ont subitement eu un coup de chaud : une rumeur laissait entendre que Donald Trump était sur le point de destituer Jerome Powell, le patron de la Réserve fédérale américaine. Ce n’est pas un secret : le Président américain ne trouve pas à son goût la politique de la banque centrale, qui maintient ses taux directeurs à 4,25-4,50%, alors qu’il voudrait les voir à 1,5%.

Mais ce ne sont pas les derniers chiffres d’inflation aux Etats-Unis qui vont aplanir les divergences : sans être vraiment alarmantes, ils montrent que les prix réaccélèrent. L’indice des prix à la consommation a augmenté de 0,3 % en juin, soit 2,7% en rythme annuel. Hors alimentation et énergie, la hausse atteint 2,9 %. On est loin de l’objectif de 2% de la Fed, et il ne semble donc pas y avoir de marges pour une baisse des taux. Du moins si l’on est une banque centrale indépendante.

La rumeur

Mercredi, donc, la bourse américaine a eu un haut-le-cœur lorsque, pendant un moment, la rumeur a couru que Donald Trump avait décidé de démettre Jerome Powell. Selon le New York Times, le Président américain avait déjà rédigé une lettre de révocation et l’avait montrée à quelques parlementaires. Sur CNBC, un responsable de la Maison Blanche  avait d’ailleurs déclaré : « le Président a demandé aux parlementaires ce qu’ils pensaient du limogeage du président de la Fed. Ils ont approuvé sa décision. Le Président a indiqué qu’il le ferait probablement bientôt».

Immédiatement, Wall Street a commencé à chanceler, la Bourse perdant 0,7%, et les bons du Trésor américains à long terme voyant leur taux passer de 4,97% à 5,07%. Pour calmer l’incendie, Donald Trump est monté au créneau et a démenti la rumeur : « Nous ne prévoyons pas de faire quoi que ce soit. C’est très peu probable, à moins d’une fraude », a-t-il dit.

Les marchés se sont calmés illico. Mais tout est-il fini ?

« A moins d’une fraude »

Le « à moins d’une fraude » dans la bouche de Donald Trump n’est pas une observation innocente.

 « Un très haut responsable de l’administration Trump a en effet envoyé ces derniers jours une lettre au président de la Réserve fédérale, lui demandant s’il avait déformé les faits devant le Congrès concernant la coûteuse rénovation du siège de la Réserve fédérale », rappelle George Saravelos, responsable de la recherche auprès de Deutsche Bank. L’administration américaine reproche au patron de la Fed d’avoir dépassé les budgets et d’avoir consenti à des dépenses fastueuses. La Fed répond que les dépassements de coûts sont dus à plusieurs facteurs, parmi lesquels des prix des matériaux et de la main-d’œuvre plus élevés que prévu, ainsi que la découverte de contaminations toxiques dans le sol du bâtiment qui était réhabilité.

«  Certains soutiennent que cela ouvre une voie juridique pour que le président Trump puisse destituer le président Powell », ajoute George Saravelos, précisant cependant que « le marché semble actuellement attribuer une très faible probabilité à cet événement ».

Mais avec le Président américain, tout est possible. D’autant qu’une annonce sur la Réserve fédérale servirait hautement les intérêts de la Maison Blanche. Celle-ci est en effet occupée à essayer de construire des pare-feu pour détourner l’opinion américaine de l’affaire Epstein. Cette affaire avait été brandie pendant les élections présidentielles et juste après pour tenter de discréditer une série d’hommes politiques et de soutiens démocrates, accusés d’être sur la liste infame des clients du réseau pédophile monté par Jeffrey Epstein.

A peine nommée par Donald Trump, la procureure générale Pam Bondi promettait de publier le document. Mais on l’attend toujours. La base électorale « MAGA » ne comprend pas cette soudaine prudence. Elle reproche au Président son manque de transparence, et les sondages sont mauvais.

Cette situation politique désagréable pourrait expliquer pourquoi la Maison Blanche essaie de détourner l’attention par des annonces tonitruantes. Notamment sur la Russie, donnant à Moscou 50 jours pour trouver la paix en Ukraine. Et d’autre part sur Jerome Powell.

Une menace sous-estimée

Admettons donc que le mécanisme mis en place pour destituer Jerome Powell fonctionne. La réaction financière pourrait alors être spectaculaire. « Les preuves empiriques et académiques sur l’impact d’une perte d’indépendance de la banque centrale sont assez claires : dans les cas extrêmes, la monnaie et le marché obligataire peuvent s’effondrer, les anticipations d’inflation augmentent, les rendements réels chutent et les primes de risque globales augmentent en raison de l’érosion institutionnelle », souligne George Saravelos, qui ajoute que « l’impact sur les actions est beaucoup plus ambigu, car elles représentent en fin de compte une créance sur des actifs réels ».

Si une destitution du Président de la Fed devait intervenir, « au minimum, nous nous attendrions à ce qu’une prime de risque soutenue et persistante soit ensuite intégrée à la fois dans le dollar américain et le marché des bons du Trésor, avec une sensibilité exceptionnellement élevée à la fois au mélange de données et à la conduite de la politique monétaire dans les mois suivants, poursuit-il. Mais au-delà de cela, nous nous inquiétons de la position de financement externe très vulnérable dans laquelle se trouve actuellement l’économie américaine ; cela augmente le risque de mouvements de prix très importants et perturbateurs. En somme, nous considérons la destitution du président Powell comme l’un des risques d’événements les plus sous-estimés pour les mois à venir », avertit le responsable de la recherche de la Deutsche Bank.

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