La France RN s’inspirera-telle de l’Italie de Giorgia Meloni ?

Giorgia Meloni. ©  Belga Image
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

En Italie, on hurle contre l’Europe tout en tendant la main aux subsides européens. Tout un art.

C’est un paradoxe, un de plus, en ces temps troublés qui n’en manquent pas. Alors que la politique européenne, notamment en matière de migration, d’agriculture et de transferts budgétaires vers les régions les plus pauvres est depuis des années dans le collimateur  populiste, l’arrivée au pouvoir de partis d’extrême droite, seuls ou en coalition, montre la grande utilité d’avoir des institutions européennes, un marché européen et une monnaie européenne.

Ce week-end, le premier tour des législatives françaises porte le Rassemblement national aux portes du pouvoir. Avec ses alliés Républicains tendance « ciottiste » et quelques divers autres députés de droite, il pourrait emporter la majorité absolue. La seule force contraire serait celle d’un rejet absolu des électeurs des deux blocs, et d’un report de voix du centre sur la gauche ou de la gauche sur le centre pour éviter cette victoire de la droite extrême. Mais à priori, ces reports de voix ne sont pas évidents, la campagne, sans concession, ayant clivé les électeurs plus que jamais.

Economiquement, ce ne sont pas les années 30

La France pourrait donc rejoindre un clan de pays dirigés par des gouvernements de droite populiste dans lequel se trouvent les Pays-Bas, l’Italie, la Slovaquie, la Hongrie, la Suède, et pendant un moment de la Pologne, alors que l’Autriche et l’Allemagne pourraient être les prochains à monter dans le bateau.

On fait souvent le rapprochement entre la période actuelle et celle des années 30. A cette époque aussi, la frustration et le déclassement d’une grande partie de la population avaient amené l’avènement de l’extrême droite, avec les conséquences que l’on sait.

Il y a certes des échos politiques inquiétants, mais sur le plan strictement socio-économique,  il n’y a pas grand-chose de comparable entre la situation actuelle et celle d’il y a presqu’un siècle. A l’époque, les pays européens sortaient de 4 années de guerre épouvantable, qui avaient saigné à blanc la population de la France et de l’Allemagne. L’Allemagne avait connu en 1919 une guerre civile, les marchés financiers s’étaient effondrés en 1929 et la population était aux prises avec un chômage de masse effarant – imagine-t-on aujourd’hui que le pic du chômage avait dépassé les 30% aux Etats-Unis et les 40% en Allemagne ? – et la sécurité sociale n’en était qu’à ses balbutiements.

Anywhere, somewhere

Aujourd’hui, le moteur de l’extrême droite est cette opposition entre la classe des « anywhere » et celle des « somewhere » qui alimente la polarisation politique. L’économiste britannique David Goodhart a théorisé cette fracture de la mondialisation, avec d’un côté la classe des « anywhere », celle de ceux qui se sentent chez eux partout et qui tirent profit de l’économie mondialisée. Et puis la classe des « somewhere », ceux qui sont enracinés dans leur terroir, mais qui se sentent laissés pour compte. Ils  se sentent les perdants de la mondialisation, ils voient partir de leur territoire les services de proximité (poste, agence bancaire, gare, …) qui les rattachaient encore à un semblant d’Etat et ils s’inquiètent de cette culture mondiale dans laquelle ils ne se retrouvent pas.

Joue-la comme Giorgia

Ce sentiment d’abandon nourrit l’idée d’une montée de l’insécurité (alors qu’elle recule depuis trente ans dans un pays comme la France,  ou d’une hausse de l’immigration, alors qu’elle est dix fois plus importante en Allemagne ou en Italie, qui ouvrent leurs portes afin de reconstituer une main d’œuvre qualifiée). Les seuls qui ont compris que ces frustrations pouvaient constituer une  formidable échelle pour accéder au pouvoir sont les partis  populistes.

Le paradoxe de tout ceci est que cette victoire populiste a pu se produire parce que, en dessous, les institutions européennes existent : l’euro empêche que les Etats ne se lancent dans des dévaluations compétitives et mortifères, l’Europe permet que malgré les tensions et les tentations, aucune barrière douanière ne se soit élevée entre pays voisins. Et l’Europe permet que, malgré une conjoncture maussade et des dettes d’Etat record,  nous n’ayons ni krach, ni envolée du chômage.

C’est ce que l’Italie de Giorgia Meloni a compris. D’un côté, l’Italie prêche, via Matteo Salvini, le patron de la Ligue et député européen, un discours virulent contre les eurocrates. Mais de l’autre, le gouvernement italien a un ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajan qui fait partie du PPE d’Ursula von der Leyen, qui est un européen convaincu et qui peut aussi œuvrer pour que l’Italie bénéficie de généreux subsides européens. Une aide rendue possible parce que Rome a réussi en partie à apprivoiser ses finances publiques. C’est donc tout l’art politique, que l’on voit aussi se déployer en Hongrie et aux Pays-Bas : crier fort contre l’Europe, mais en recueillir les bienfaits en coulisse.

Est-ce qu’une France RN pourra être machiavélienne à ce point ?

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