La Chine contrôle-t-elle vraiment le canal de Panama comme l’affirme Trump ?

Vue aérienne du canal de Panama .
Vue aérienne du canal de Panama dans la zone des écluses Pedro Miguel. Chaque fois qu'un navire franchit l'écluse de Miraflores, la porte la plus célèbre du canal de Panama, 200 millions de litres d'eau douce sont déversés dans la mer. Cette opération a été répétée plus de 14 000 fois en 2022 dans ce passage stratégique reliant les deux plus grands océans du monde, dont la principale source d'énergie pour déplacer les navires est l'eau de pluie. © Getty Images

Donald Trump motive sa promesse de reprendre le contrôle du canal de Panama en affirmant que la Chine “exploite” la voie maritime qui relie l’Océan Pacifique à l’Atlantique. La réalité est plus nuancée.

Lors de son discours d’investiture, le nouveau président des États-Unis n’a pas exclu l’option militaire pour “récupérer” ce couloir de 80 km de long construit par les États-Unis, inauguré en 1914 et sous souveraineté panaméenne depuis 25 ans.

“Le canal appartient et continuera d’appartenir au Panama”, lui a rétorqué le président panaméen José Raul Mulino.

La voie interocéanique, dont les Etats-Unis et la Chine sont les principaux utilisateurs, est administrée par l’Autorité du Canal de Panama, une entité autonome panaméenne.

“Goulot d’étranglement”

Mais une entreprise chinoise, Hutchison Ports, exploite sous concession les ports de Balboa et Cristobal, à chaque entrée du canal, côté Atlantique et Pacifique.

En “temps de conflit”, ces ports pourraient être utilisés par Pékin “comme un goulot d’étranglement qui empêche le commerce” international par le canal, a lancé le secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio.

Le gouvernement panaméen a annoncé mardi un “audit exhaustif” de Panama Ports Company, filiale de Hutchinson Ports, afin de “déterminer si les accords de concession conclus (…) sont respectés, en vérifiant que l’entreprise déclare correctement ses revenus, paiements et contributions à l’Etat”.

Dans un communiqué, la société a indiqué “coopérer pleinement” avec cette procédure, assurant que les précédents contrôles avaient démontré le respect de ses “obligations contractuelles”.

“Il y a des préoccupations raisonnables liées à la présence d’une entreprise chinoise”, analyse Benjamin Gedan, directeur du programme pour l’Amérique latine du Wilson Center, basé à Washington. “Le canal a une valeur énorme pour les Etats-Unis, tant commerciale que stratégique, et il ne serait pas difficile pour Pékin d’interrompre ses opérations”.

Pour autant, selon Rebecca Bill Chavez, présidente du think tank Interamerican Dialogue, “la Chine n’exploite ni ne contrôle le canal de Panama”: le pays d’Amérique centrale a “respecté” la neutralité du canal en maintenant “l’efficacité des opérations”.

Donald Trump, qui a déclaré que les Etats-Unis ont “bêtement” cédé le canal interocéanique, estime que le Panama est “un pays qui nous arnaque” et que les bateaux américains devraient payer moins cher le passage.

Investissements chinois

“C’est un argument fallacieux qui cache la volonté que le Panama réduise à sa plus simple expression ses relations avec la Chine”, affirme à l’AFP Euclides Tapia, professeur panaméen en relations internationales.

Depuis que le Panama a rétabli des relations diplomatiques avec Pékin en 2017, les échanges commerciaux avec la Chine ont considérablement augmenté, bien que son principal partenaire politique et commercial reste les Etats-Unis.

Des entreprises chinoises ont participé à la construction d’un port pour bateaux de croisières à l’entrée du canal côté Pacifique et sont impliquées dans un projet de pont enjambant la voie maritime d’un montant de 1,4 milliard de dollars.

Lors d’une visite du président Xi Jinping en 2018, Pékin a proposé d’autres projets représentant des plusieurs centaines de millions de dollars, tentant même d’installer une ambassade à l’entrée du canal, mais cela ne s’est pas concrétisé en raison de présumées pressions américaines.

Usage de la force

Dans le cadre des traités de 1977, qui ont conduit les Etats-Unis à transférer le canal au Panama en 1999, les Panaméens se sont engagés à garantir que la voie reste ouverte en permanence à tous les pays du monde.

“Aucun de leurs principes ne mentionne, et encore moins n’autorise, les Etats-Unis à récupérer ou à réclamer le canal de Panama”, a déclaré à l’AFP Julio Yao, qui faisait partie de l’équipe panaméenne qui a négocié les traités.

Mais y figurent des amendements introduits par les Etats-Unis sur la possibilité que Washington utilise la force armée de manière unilatérale “pour défendre le canal contre toute menace” de fermeture.

Seul ce motif “pourrait justifier l’usage de la force militaire au Panama, et uniquement pour maintenir le canal ouvert, pas pour s’en emparer et l’exploiter économiquement”, relève M. Tapia.

Que Donald Trump ait répété ses menaces lundi “rend plus probable qu’il s’agisse d’une déclaration sérieuse”, relève Benjamin Gedan. L’expert juge”une intervention militaire peu probable”, mais souligne que le gouvernement américain pourrait user des taxes douanières pour faire pression sur le Panama.

Le Panama se plaint à l’ONU des menaces de Trump sur le canal

Le gouvernement panaméen a exprimé mardi devant le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres sa préoccupation face à l’intention affichée du président américain Donald Trump de s’emparer du canal de Panama.

Dans une lettre envoyée à M. Guterres, la mission du Panama auprès de l’ONU a estimé que les déclarations de M. Trump lors de sa cérémonie d’investiture lundi “sont préoccupantes”.

“Nous sollicitons vos bons offices pour transmettre cette communication aux 15 membres du Conseil de sécurité des Nations unies”, dont le Panama est membre depuis le 1er janvier, souligne la lettre, distribuée à la presse par le gouvernement panaméen.

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