La Belgique peut-elle profiter d’une fuite des cerveaux venant de la Silicon Valley ?

La Belgique peut-elle attirer des talents hautement qualifiés de la Silicon Valley suite au retour de Donald Trump à la Maison Blanche ? © Getty Images
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La réélection de Donald Trump marque un tournant politique et culturel aux États-Unis. L’Europe pourrait-elle bientôt voir arriver un flux de talents hautement qualifiés venant de la Silicon Valley, la vallée technologique qui a voté massivement pour la candidate démocrate Kamala Harris ? Et comment la Belgique pourrait-elle se rendre attractive pour ces talents ?

L’idée qu’un second mandat de Donald Trump puisse provoquer une fuite des cerveaux ne se vérifie pas dans les chiffres de son premier mandat. En effet, l’afflux d’Américains en Belgique a même diminué. Selon les données de l’Office belge de statistique, 2.714 Américains ont déménagé en Belgique en 2010, mais ce chiffre est tombé à 1.777 en 2023, une tendance partiellement attribuée à la pandémie de Covid-19. Cependant, avec la forte tendance démocrate de la Silicon Valley et d’autres régions innovantes, la question se pose de savoir si ces travailleurs qualifiés ne préféreraient pas s’expatrier. Et la Belgique peut-elle en tirer profit ?

Atouts sous-exploités

Frederik Tibau, expert en start-up et scale-up chez Agoria, voit un potentiel pour la Belgique, mais souligne que nous exploitons mal nos avantages. “La Belgique a beaucoup à offrir aux Américains, mais nous avons un problème de marketing”, explique-t-il. L’expert cite le Portugal ou l’Estonie comme de meilleurs exemples. “Le Portugal a mis en place, il y a une quinzaine d’années, une stratégie claire pour attirer les talents de la technologique. Le pays a, par exemple, réussi à accueillir le Web Summit à Lisbonne, positionnant la ville comme un centre de start-up, tandis que Porto s’oriente vers les scale-up. Cela a porté ses fruits : de plus en plus d’Américains déménagent au Portugal.”
Bien que la Belgique dispose d’un écosystème technologique solide, notre pays n’a pas su se positionner comme une plaque tournante attrayante pour les technologies, selon Frederik Tibau. “Notre écosystème est plus fort que celui du Portugal, mais tout le monde connaît ce pays en tant que hub technologique. Cela montre l’importance du marketing.”

Un avantage supplémentaire pour la Belgique demeure peu mis en valeur. “Chez nous, il n’y a pas d’imposition sur les plus-values lors de la vente d’une entreprise, ce qui est presque unique au monde, affirme l’expert. Si cela concernait les Pays-Bas, tout le monde le saurait, mais ici, même la population locale en est peu informée. Pour les Américains, qui pensent beaucoup en termes financiers, c’est très attractif.”

Essenscia, la fédération de l’industrie chimique, plaide dans son plan de transition pour une politique migratoire plus ambitieuse. La fédération propose des délais plus courts pour les permis, une reconnaissance simplifiée des diplômes étrangers et des mesures fiscales pour attirer les talents internationaux. Agoria soutient cet appel et insiste sur la nécessité de règles uniformes. “Les États baltes, la France et le Portugal disposent d’un visa start-up unique, souligne Frederik Tibau. En Belgique, il existe des initiatives régionales, mais il manque une procédure nationale. Une telle procédure nationale rapide rendrait notre pays plus attractif pour les talents américains.”

Regarder les voisins

Fragomen, un cabinet d’avocats international spécialisé dans l’immigration, constate que la Belgique manque des opportunités pour attirer des travailleurs qualifiés américains. Depuis le premier mandat de Trump, le cabinet observe une augmentation des demandes de permis de travail et de visas d’investisseurs. Les Pays-Bas, par exemple, bénéficient du traité d’amitié néerlando-américain et d’un avantage fiscal attractif pour les expatriés. La Belgique, quant à elle, n’offre pas de tels avantages, ce qui complique l’arrivée des expatriés américains.

De plus, la Belgique est à la traîne par rapport aux pays dotés de procédures de visa rapides, comme les Pays-Bas et la Suède, où les demandes sont souvent traitées en quelques semaines. En Belgique, le processus peut prendre jusqu’à six mois, ce qui freine la croissance des entreprises.

Selon Fragomen, la Belgique pourrait tirer parti de la numérisation pour rationaliser ses processus d’immigration. Une plateforme en ligne centrale permettant aux travailleurs qualifiés étrangers et aux employeurs d’accéder à toutes les informations nécessaires pourrait réduire considérablement les obstacles pour les expatriés. Le cabinet d’avocats souligne également le succès des centres de relocalisation comme ceux que nos voisins du nord ont mis en place. Ces centres facilitent l’intégration des nouveaux arrivants en réunissant les services d’immigration et les administrations locales. En Belgique, il existe des international houses à Louvain et en Flandre-Occidentale, mais une généralisation renforcerait l’attractivité.

Frederik Tibau est également conscient des obstacles rencontrés par les expatriés américains. “L’un des plus grands problèmes est la fragmentation. Nous avons trois Régions, chacune avec sa propre dynamique, ce qui conduit à une politique technologique et d’innovation fragmentée, explique-t-il. Pour les étrangers, il est difficile de percevoir la Belgique comme un hub technologique cohérent.” De plus, le coût du travail est élevé et la fiscalité reste complexe et peu transparente. “L’absence d’une vision à long terme claire n’aide pas la Belgique à se positionner sur le plan international”, ajoute-t-il.

Bien que la Belgique applique des seuils de rémunération relativement bas pour les travailleurs hautement qualifiés, Fragomen recommande de les abaisser pour les jeunes talents. Cela faciliterait l’arrivée des jeunes diplômés. Par ailleurs, des procédures simplifiées pour les PME les aideraient à attirer des talents étrangers, car elles n’ont souvent pas les moyens de gérer des processus d’immigration complexes.

Imec

Notre pays possède des avantages géographiques et économiques uniques. Frederik Tibau souligne que 60% du pouvoir d’achat européen se situe dans un rayon de 350 kilomètres autour de notre pays. “La Belgique est un nœud logistique. En train, vous êtes à une heure et demie de Paris, Londres, Amsterdam ou Cologne”, précise-t-il. Cela rend la Belgique attrayante comme base en Europe.

De plus, le Royaume dispose de solides écosystèmes technologiques, comme l’Imec à Louvain, un leader mondial des semi-conducteurs, qui collabore étroitement avec ASML aux Pays-Bas. “Il existe déjà des initiatives en Europe pour promouvoir la région autour de Louvain et Eindhoven comme le Palo Alto de l’Europe.”

Pour attirer des travailleurs qualifiés américains, la Belgique doit mieux promouvoir ses points forts, simplifier les processus administratifs et offrir des incitations ciblées. Frederik Tibau le résume ainsi : “La Belgique a des entreprises fantastiques, mais nos gouvernements manquent d’ambition. Nous devons clairement montrer que la Belgique est un hub technologique en misant beaucoup plus sur la promotion, en élaborant des incitations fiscales supplémentaires et en veillant à ce que les expatriés sachent qu’ils ne paient pas de taxes sur les plus-values lors de la vente d’une entreprise.”

Laurens Bouckaert

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