La BCE peut-elle avoir le beurre et l’argent du beurre ?
Peut-elle juguler l’inflation sans faire plonger l’Europe en récession. Cela paraît de plus en plus difficile.
Ce jeudi, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) Christine Lagarde a encore répété que l’objectif de la BCE, le seul, était de ramener l’inflation à 2%, et qu’on en était encore loin, même si on progresse. « L’inflation est revenue à 4,3 % en septembre, à près d’un point de pourcentage en deçà de son niveau d’août. À court terme, ce ralentissement devrait se poursuivre, les hausses sensibles des prix de l’énergie et des produits alimentaires observées à l’automne 2022 n’étant plus prises en compte dans les taux annuels », note Christine Lagarde. Mais beaucoup d’observateurs, dont notre Bureau du Plan, tablent sur un petit redémarrage de la hausse des prix au début de l’an prochain. Une des causes : les prix de l’énergie pourraient être plus élevés en janvier 2024 qu’en janvier 2023.
La question, toutefois, est celle-ci : la BCE pourra-t-elle atteindre son objectif d’inflation sans plonger la zone euro en récession ? Pourra-t-elle avoir le beurre (une inflation ramenée à 2%) et l‘argent du beurre (une économie qui reste en croissance) ? On en doute quand on voit sa détermination à garder les taux élevés longtemps (Christine Lagarde n’entrevoit pas de discussion sur une baisse des taux l’an prochain) et l’impact déjà effectif de la hausse des taux et les risques géo-politico-économiques qui planent au-dessus de la zone euro.
Une pause après dix hausses
Avant de tenir ses quartiers ce jeudi à Athènes, la Banque centrale européenne s’était réunie dix fois depuis l’été de l’an dernier, et avait à chaque fois augmenté ses taux, faisant passer le taux de ses opérations principales de refinancement de 0 à 4,5%. Le taux de la facilité marginale est à 4,75% et le taux de la facilité de dépôt à 4%.
Ce jeudi, lors de sa réunion à athénienne, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de marquer une pause. Les trois taux directeurs de l’euro restent donc inchangés : attention, précise la Présidente de la BCE Christine Lagarde, cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas de nouvelles hausses des taux. Christine Lagarde a répété plusieurs fois lors de la conférence de presse que les prochaines décisions de la BCE dépendront des données…. Autrement dit, si les statistiques indiquent une résurgence trop forte de l’inflation, la BCE donnera un nouveau coup de marteau.
Des risques sur la croissance
Mais pour l’instant, après avoir tapé dix fois sur l’économie européenne, celle-ci est véritablement sonnée. Les dernières prévisions des économistes de la banque tablent pour cette année sur une petite croissance de 0,7%. Une croissance très faible donc, qui si elle s’avérait plus faible que prévu pourrait faire tomber l’Europe en récession (c’est déjà le cas de l’Allemagne).
« Les risques pesant sur la croissance économique restent orientés à la baisse, a souligné Christine Lagarde lors de la conférence de presse de ce jeudi, ajoutant que « la croissance pourrait être plus faible si les effets de la politique monétaire se révélaient plus forts que prévu. » Et la patronne de la BCE a mentionné plusieurs fois le dernier « banking survey », rapport sur les banques de la zone euro, publié voici deux jours. Ce document montre que les banques interrogées continuent de resserrer leurs conditions de crédit à un niveau qui « dépasse largement les attentes précédentes ». Bref, le resserrement du crédit, par suite de la brusque remontée des taux, est plus fort que prévu.
A cela s’ajoute une montée du risque géopolitique. « Une économie mondiale plus faible pèserait également sur la croissance, poursuit Christine Lagarde. La guerre injustifiée de la Russie contre l’Ukraine et le conflit tragique déclenché par les attentats terroristes en Israël sont des sources majeures de risque géopolitique. Cela pourrait entraîner une perte de confiance et une plus grande incertitude des entreprises et des ménages quant à l’avenir, et freiner davantage la croissance ».
Des signes peu encourageants
D’autres petits signes montrent la souffrance de l’économie européenne, comme la baisse en rythme annuel de la masse monétaire, dont la contraction atteint un record historique : « le taux de croissance annuel du M3 est tombé à -1,3 % en août – le niveau le plus bas enregistré depuis le début de l’euro – et s’est encore établi à -1,2 % en septembre », précise Christine Lagarde. Une masse monétaire qui décroît est la conséquence d’une dynamique de crédit qui faiblit. Et moins de crédits, c’est moins de croissance.
La BCE s’attend donc à ce que les effets de ses décisions précédentes percolent toujours dans l’économie au moins jusqu’au premier trimestre de l’an prochain, si pas plus. Difficile, dans ces conditions, d’avoir le beurre et l’argent du beurre. Et ne parlons même pas du sourire de la crémière.
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