Le professeur d’économie de l’UCLouvain salue “l’art du deal” du président américain, qui se vante du fruit de ces négociations sur les droits de douane. Mais dans un second temps, les Etats-Unis pourraient souffrir d’un rééquilibrage du commerce mondial.
Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCLouvain et chercheur à l’Institut Itinera, est l’invité de notre Trends Talk, qui passe en boucle ce week-end sur Trends Z. L’occasion d’évoquer avec lui la saga cruciale de cet été concernant les droits de douane, au moment où Donald Trump vient de présenter avec fierté ses “deals”, dont celui avec l’Union européenne.
Les Etats-Unis nous imposent 15 % de droits de douane et l’Union européenne n’en percevra pas. Que pensez-vous de ce deal?
Il faut avant tout comprendre notre situation en termes de pouvoir de négociation. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a été mandatée pour
négocier au nom de 27 États qui n’ont pas nécessairement des intérêts convergents. Face à elle, Donald Trump, qui est le roi du deal, a réussi à positionner la négociation en sa faveur, en concentrant la discussion sur un déficit commercial sur les biens uniquement, un excluant les services.
Or, on sait leur importance dans nos relations commerciales, il suffit de penser aux GAFAM.
Ce faisant, Donald Trump a en effet créé artificiellement un déficit. Si l’on prend la balance élargie aux services, on se retrouve grosso modo avec un petit déficit de l’ordre de 50 milliards au lieu des 270 milliards qui sont annoncés par Trump aujourd’hui.
Ursula Von der Leyen s’est-elle fait rouler dans la farine?
Oui et non. C’est cela aussi, l’art du deal, celui de démarrer la discussion à son avantage. Le deuxième art, c’est de lier cette discussion avec la situation du sous-financement des États membres de l’Europe vis-à-vis de l’OTAN, et la menace éventuelle que les Etats-Unis pourraient se retirer dans une situation où les pays d’Europe ont une guerre sur leur territoire.
Le lien avec la guerre en Ukraine est évident?
On lie clairement des choses, oui. Dans une négociation, on appelle ça le “bundling”. Le troisième élément de séduction, c’est le fait que Trump soit parti sur une menace très élevée en termes de tarif de 30 %. C’est dix fois plus que ce qu’il y avait avant lui.
Ces 15%, ce seraient donc la moins mauvaise des solutions?
En passant à 15 % et on achète l’accord, oui. Le fait est que la menace était quand même crédible. Nous avions réellement peur de nous engager dans une guerre commerciale qui pouvait être très, très dommageable pour l’Europe
Nous n’étions pas prêts au rapport de forces? La France, notamment, a eu des mots très durs…
Non, nous n’étions pas prêts. Même la France, de toute façon, avait très peur. Tout son secteur du luxe, par exemple, était très inquiet de droits de douane à 30%. C’est un secteur où l’on a toujours répercuté toutes les taxes sur les hausses de prix, mais ils ont atteint une limite. N’oublions pas que l’Europe est le principal marché d’exportation vers les Etats-Unis avec 600 milliards de biens contre 500 milliards pour la Chine, 450 milliards pour le Canada. C’était dramatique de nous engager dans une guerre commerciale dont on ne connaîtra pas l’issue. Ursula Von der Leyen a navigué de manière intelligente dans le détroit de Magellan dans des eaux troubles, avec des vents forts. Elle a réussi à naviguer dans ce petit passage très étroit en territoire inconnu, sans carte. Ce que l’on oublie de dire, c’est qu’un quart des exportations européennes vers les États-Unis ne seront pas touchées par ces 15 %. C’est tout le secteur pharmaceutique, par exemple, ce qui est très important pour la Belgique.
Il y a eu des divergences d’interprétation entre Trump et Von der Leyen à ce sujet….
Si on y réfléchit, il y a une bonne raison à ce que les Etats-Unis épargnent ce secteur, c’est que cela risque de se répercuter sur le coût du médicament aux États-Unis et sur les coûts des soins de santé. Politiquement, ce serait une pilule difficile à avaler, si je peux me permettre le jeu de mots. Même chose pour l’aéronautique, épargnée parce que l’on sait que le secteur éprouve de grosses difficultés aux Etats-Unis.
Ces accords commerciaux nous font-ils entrer dans une nouvelle ère protectionniste?
En réalité, les Américains sont très inquiets. Les économistes américains et le monde financier de la situation craignent que le reste du monde se détourne des États-Unis pour commercer. Les États-Unis pourraient devenir une petite île, en quelque sorte, déconnectée du reste du monde. Cela se voit déjà à travers les accords entre l’Europe
et le Canada. A court terme, c’est peut-être une victoire à la Pyrrhus pour les États-Unis, mais à très moyen terme, le risque existe de voir les Etats-Uis isolés.
Comme en géopolitique, le monde devient de plus en plus multilatéral, avec des empires qui ont leurs zones d’influence et qui interragissent entre eux?
Il y a un rééquilibrage du commerce mondial. N’oublions pas l’Amérique latine et l’Asie du Sud-Est qui deviennent, qui deviennent de gros morceaux et des partenaires potentiels aussi pour l’Europe. L’Europe commence déjà à chercher des alternatives, à diversifier ses sources. De même, pour l’énergie, on doit garder le droit de diversifier nos sources d’approvisionnement. On ne doit pas rester pieds et mains liés avec un seul fournisseur comme on l’avait été avec le North Stream pieds et mains liés avec un seul fournisseur. C’est la pire décision qu’on puisse prendre.