Jamais les immigrés n’ont envoyé autant d’argent: quel impact sur le développement de leur pays ?

Les diasporas sont une aide précieuse pour leurs proches, comme l’illustre l’ampleur des fonds qu’ils envoient chaque année dans leur pays d’origine. Les immigrés n’ont même jamais autant envoyé d’argent dans leur pays. Mais ces transferts d’argent ont-ils aussi un impact sur le développement dudit pays ?

 Dans son dernier rapport, la banque mondiale estime que 184 millions de personnes vivent hors du pays dont ils ont la nationalité, dont 20% de réfugiés. Soit autant de personnes susceptibles d’envoyer des fonds vers leurs pays d’origine. De quoi représenter une véritable manne financière plus ou moins informelle. Selon la dernière Note d’information sur les migrations et le développement publiée par la Banque mondiale en juin, en 2022, les envois de fonds s’élevaient à 647 milliards de dollars toutes régions confondues. Une hausse de 8% par rapport à 2021. Un montant qui devrait encore s’accroître de 1,4 % en 2023, pour s’établir à 656 milliards de dollars. Cela dépasse donc l’aide publique au développement (près 205 milliards de dollars en 2022) et les investissements directs étrangers (IDE) dans les pays en développement (près 500 milliards de dollars).

Une hausse pratiquement mondiale

Au niveau des régions de destination, les remises migratoires (soit les fonds envoyés par la diaspora) ont augmenté de 0,7% en Asie de l’Est et Pacifique, de 19% en Europe et Asie centrale, de 11,3% en Amérique latine-Caraïbes, de 12,2% en Asie du Sud et de 6,1% en Afrique subsaharienne. Elles ont diminué de 3,8% dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Les cinq principaux bénéficiaires de ces envois de fonds étaient, en 2022, l’Inde (111 milliards de dollars), le Mexique (61 milliards de dollars), la Chine (51 milliards de dollars), les Philippines (38 milliards de dollars) et le Pakistan (30 milliards de dollars).

Une bouée de sauvetage pour de nombreux pays

De l’argent plus que bienvenu à l’heure où l’on observe un ralentissement de la croissance économique et une contraction des investissements directs étrangers. « Ils revêtent une importance cruciale pour les ménages durant les périodes difficiles », explique Michal Rutkowski, directeur du pôle mondial d’expertise en Protection sociale et emploi de la Banque mondiale. Signe de l’importance de la contribution de ces fonds, ces remises migratoires occupent également un pourcentage important dans le PIB de certains pays. Au Tadjikistan, ils représentent ainsi pas moins de 51% du PIB, dans les Tonga 44% et au le Liban 36%.

Selon une étude de Global Sovereign Advisory (GSA), parue cette semaine, l’Arabie saoudite est en troisième place des pays d’origine des envois de fonds après les Etats-Unis et les Emirats arabes unis. La même étude notre aussi que, « contre toute attente, l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a pas entraîné un effondrement des envois de fonds en provenance de Russie . En cause la demande accrue de travailleurs expatriés venu combler la pénurie de main-d’oeuvre russe partie au front. Ainsi le Tadjikistan a enregistré une hausse de 83 % de ses envois de fonds entre 2021 et 2022 et L’Ouzbékistan de 80%.

La manne de la diaspora africaine trop peu utilisée

Une manne tout aussi importante pour certains pays africains. Les envois migratoires représentent ainsi 28,9% du PIB Gambie, 23% au Lesotho, 21,1% aux Comores, 14,1% au Cap-Vert et 10,4% en Guinée-Bissau.

Les envois de fonds des migrants ont aussi apporté un soutien aux comptes courants de plusieurs pays africains confrontés à « l’insécurité alimentaire, aux perturbations des chaînes d’approvisionnement, à une grave sécheresse (Corne de l’Afrique), à des inondations (Nigéria, Tchad, Niger, Burkina Faso, Mali et Cameroun), et aux difficultés posées par le service de la dette pour de plus en plus d’entre eux », précise encore le rapport de la Banque Mondiale.

Avec 97 milliards de dollars envoyés en 2022, le volume des envois de fonds des migrants africains dépasse même de loin celui de l’aide publique au développement (35 milliards) et même ceux des investissements directs étrangers. Selon Nasser Bourita le ministre marocain des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, les 150 millions d’Africains de la Diaspora sont un apport économique important pour le continent. “Durant la décennie 2010-2020, la Diaspora africaine a transféré plus de 600 milliards de dollars, dont 440 milliards pour l’Afrique subsaharienne et près de 200 milliards pour le reste de l’Afrique. C’est un apport économique important”.

Pourtant, selon un rapport d’Ecofin (une agence d’information économique africaine), cette manne ne contribue que marginalement au financement du développement et à la création de richesse sur ce continent. « Les transferts d’argent réalisés par la diaspora africaine constituent souvent une ressource vivrière pour les familles qui les perçoivent et sont essentiellement orientés vers des dépenses de consommation courante comme les achats de nourriture et le paiement des frais de scolarité ». Soit autant de ressources qui ne contribuent que « marginalement au financement des projets d’investissement et à la création de richesse ».

Une manne qui provient surtout d’autres pays du même continent

« Contrairement à une idée répandue selon laquelle les migrants africains enverraient de l’argent vers leur pays d’origine systématiquement à partir de l’Europe ou des États-Unis, plusieurs pays africains reçoivent surtout de l’argent de leurs diasporas installées dans d’autres pays du continent africain », précise encore Ecofin. Du côté des expéditeurs, beaucoup habitent en effet dans des pays du Moyen-Orient comme l’Arabie saoudite, le Koweït, les Émirats arabes unis ou encore le Qatar. Et au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), 6 pays sur 8 tirent leurs remises/transferts d’argent migratoires principalement d’autres pays africains (Nigéria, Burkina Faso ou Côte d’Ivoire). Seuls le Sénégal et la Guinée-Bissau ont pour principale source d’envoi de fonds de la diaspora un pays non africain (la France pour le premier et le Portugal pour le second).

Le grand gagnant africain est l’Égypte

En 2022, L’Égypte a ainsi reçu 28,3 milliards de dollars de sa diaspora, soit presque d’un tiers (29%) de l’ensemble des remises migratoires enregistrées sur le continent. À la deuxième place, on retrouve le Nigeria (20,1 milliards de dollars) suivi du Maroc (11 milliards de dollars). Le Ghana (4,6 milliards de dollars) et le Kenya (4 milliards de dollars) viennent compléter le top 5.

Que le sommet de l’iceberg

L’apport de la diaspora serait d’autant plus important que les montants sont probablement sous-estimés. Les frais élevés encouragent les canaux informels comme les transferts en numéraire. Une étude de la Banque africaine de Développement (BAD) portant sur 4 pays d’Afrique subsaharienne montre que les volumes des transferts de fonds informels varient entre 25 et 80%, à cause des coûts élevés des canaux formels (certains corridors pouvant aller jusqu’à 35%).

À l’échelle mondiale, le coût du transfert de 200 dollars était, en moyenne, de 6,2% au quatrième trimestre de 2022, soit plus du double de la cible de 3% fixée par les Objectifs de développement durable. Les coûts de ces transferts seraient même particulièrement élevés sur le continent africain ou pour 200 dollars, l’Africain paie plus de 8% en moyenne.

Les banques sont les intermédiaires les plus coûteux (11,8 % en moyenne). Les bureaux de poste trustent la deuxième place avec 6,3% en moyenne.  Les opérateurs de transfert de fonds occupent la troisième place avec 5,4%. En quatrième position on retrouve les opérateurs de services mobiles (4,5%). Et bien que ces derniers offrent les services les moins onéreux, ils ne traitent que moins de 1% du volume total des transactions. C’est pourquoi pour mieux exploiter le potentiel des diasporas africaines, le rapport d’écofin recommande «de favoriser une concurrence loyale entre les opérateurs actifs sur le segment des transferts de fonds à l’heure où des fintechs très agiles comme Wave, Sendwave, M-Pesa et Orange Money affichent leurs intentions de gagner de plus en plus de parts de marché en proposant des services moins coûteux ».

Une progression du digital également freinée par le fait que de nombreux migrants à travers le monde “ne maîtrisent pas le numérique et sont donc de plus en plus contraints d’utiliser des services informels”, précise le rapport de septembre 2023 du Conseil de stabilité financière.

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