Il étAIt une fois… l’Intelligence Artificielle

© Getty Images

Via des outils de plus en plus performants, l’intelligence artificielle va transformer tous les aspects de la narration, à Hollywood et ailleurs sur la planète.

Les rassemblements sont l’occasion de réfléchir à tout ce qui a changé. L’un d’entre eux aura lieu l’année prochaine à Hollywood, lors de la première de Here, qui réunit les acteurs, le réalisateur et le scénariste de Forrest Gump, 30 ans après la sortie de ce film mémorable. Se déroulant dans une seule pièce au fil des décennies, Here est véritablement un film d’aujourd’hui. Les stars, Tom Hanks (66 ans) et Robin Wright (56 ans), y seront “rajeunis” dans certaines scènes à l’aide du programme informatique De-Aging, mis au point par la société d’intelligence artificielle (IA) Metaphysics. Grande nouveauté, le réalisateur et les équi­pes techniques ont pu voir la trans­formation en temps réel des acteurs pendant le tournage.

L’IA générative permet en effet désormais de produire des images en quelques secondes. Des chansons peuvent être créées dans le style de chanteurs morts ou vivants. Plus de 3.000 livres sur Amazon citent ChatGPT comme auteur ou coauteur, donnant un nouveau sens au terme anglais ghostwriter.

Narration personnalisée

Il est encore tôt pour l’écrire, mais 2024 sera déjà un avant-goût de ce qui nous attend. Trois éléments méritent d’être observés. Le premier est la manière dont l’IA sera utilisée pour raconter de nouveaux types d’histoires, à mesure que la narration deviendra plus personnalisée et interactive. Les films vont changer, tout comme les jeux, une industrie où les gens peuvent choisir leurs pro­pres aventures plus facilement que les cinéphiles.

La quantité de divertissements disponibles augmentera également. Comme l’arrivée d’internet avait entraîné une explosion du “contenu généré par les utilisateurs” sur les médias sociaux et YouTube, l’IA générative contribuera à la prolifération de vidéos et autres matériels en ligne. Certains prédisent que jusqu’à 90 % du contenu online sera généré par l’IA d’ici 2025.

L’archivage et les bons outils de recherche seront essentiels et on débattra sur la question de savoir s’il faut étiqueter (et comment le faire) les contenus générés par l’IA.

Personne ne sait exactement comment la nature de la narration va changer, mais c’est une certitude. David Thomson, historien du cinéma, compare l’IA générative à l’avènement du son. Lorsque les films ont cessé d’être muets, cela a modifié la construction de l’intrigue et l’intensité avec laquelle les spectateurs pouvaient s’attacher aux personnages. Cristóbal Valenzuela dirige une entreprise appelée RunwayML, qui offre des outils logiciels aux créatifs. Il estime que l’IA s’apparente davantage à un “nouveau type de caméra”, offrant une nouvelle “opportunité de réimaginer ce à quoi ressemblent les histoi­res”. Tous deux ont raison.

Effets spéciaux

La grève des scénaristes d’Hollywood a mis en lumière la question de savoir si l’intelligence artificielle allait commencer à produire des scénarios. Pour l’instant, les studios ont accepté des concessions et ne contourneront pas les “chambres d’écriture” pour employer ChatGPT à la place. Il faudra probablement attendre quelques années avant qu’un blockbuster soit entièrement produit par l’IA.

En revanche, il faudra également regarder comment l’IA sera utilisée pour gagner du temps. L’IA générative automatisera et simplifiera des tâches complexes telles que le doublage, les effets spéciaux ou la création de décors d’arrière-plan. Pour avoir un aperçu de l’avenir, regardez Everything Everywhere All at Once, qui a remporté l’Oscar du meilleur film en 2023. Le film présente une scène qui utilise un outil de rotoscoping offert par RunwayML pour créer l’arrière-­plan sur écran vert et rendre plus crédible des pierres qui parlent. Cet outil a permis de comprimer en quelques heures ce qui, autrement, aurait pris des jours de montage vidéo.

Bataille juridique

Le troisième élément à surveiller est l’apparition de conflits de plus en plus fréquents entre les créateurs (titulaires de droits d’auteur) et ceux qui gèrent les plateformes d’IA. L’année prochaine devrait être marquée par un déluge d’actions en justice de la part d’auteurs, de musiciens, d’acteurs et d’artistes sur la façon dont leurs mots, leur musique et leurs images ont été utilisés pour entraîner les systèmes d’IA sans consentement ni paiement. Peut-être pourront-ils se mettre d’accord sur une sorte ­d’accord de licence dans lequel les entreprises d’IA dédommageraient les détenteurs de droits d’auteur pour l’utilisation de contenus. Mais cela ne se fera pas sans une intense bataille juridique.

L’intelligence artificielle soulève des questions plus importantes sur l’avenir des histoires et la nature du storytelling. Par exemple, l’IA générative se contentera-t-elle d’imiter les hits précédents, ce qui donnerait lieu à des copies en série de blockbusters et de chansons à succès plutôt que des récits et des formes d’art originales ? Alors que le divertissement deviendra de plus en plus personnalisé, y aura-t-il encore des histoires capables de toucher un grand nombre de personnes etqui s’inscriront dans la conscience collective de l’humanité?

Alors que les créateurs sont aux prises avec l’essor de l’IA, ils canaliseront leurs angoisses face à la technologie dans leur travail.

Il faut s’attendre à ce que les récits de type Terminator narrant les affrontements entre l’homme et la machine se multiplient. La vie imite l’art, tout comme l’art imite la vie.

Alexandra Suich Bass, rédactrice en chef Culture à “The Economist”
Traduit de « The World in 2024 », supplément de The Economist

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